Les anarchistes ‘anti-woke’ et l’impasse de l’anti-racialisme : le cas des Fleurs arctiques

logo des fleurs arctiques

Ecrire ce texte nous a paru nécessaire dès lors qu’on s’est rendu compte qu’on était très nombreux-ses dans les milieux anti-autoritaires à avoir subi non seulement la répression policière, mais aussi les attaques incessantes de nos soi-disant « compagnon-nes » qui passent leur temps à cracher sur ce qui n’est pas assez radical à leur gout, tout en refusant de remettre en question les oppressions qu’on subit et auxquelles iels participent, parfois en les niant activement. Cela se traduit entre autres par le harcèlement des compagnon.nes qui osent leur porter des critiques et l’instauration d’un climat ultra-compétitif où il faut constamment prouver qu’on est du bon côté de la barricade, comme si une critique (même virulente) des positions de ces compagnon-nes faisaient de nous des traîtres à la révolution.
On espère donc qu’il sera vu comme une contribution à la lutte contre ce qui nous opprime plutot qu’à une énième guerre de chapelles. On s’adresse à tou-s-tes les copain-es qui, comme nous, tentent d’imaginer un monde sans les dominations de l’Etat, du capital et des un-es sur les autres, celles qui s’immiscent jusque dans nos milieux prétendument anti-oppressifs, et à qui nous souhaitons donner de la force.
Comme l’indique le titre, on va surtout parler de la bibliothèque des Fleurs Arctiques à Paris et des groupuscules qui s’organisent autour, mais on a envie de se questionner plus largement, sur les dynamiques qui nous minent et qui recréent des petits chefs « révolutionnaires » dans un milieu qui prétend ne pas en avoir.
A travers ses pratiques autoritaires, dont on verra quelques exemples en dernière partie, ce groupe impose une idéologie particulière, qui lui permet de silencier des personnes minorisées à la fois par la société et par les milieux anarchistes et autonomes, c’est-à-dire des personnes racisées, queer et/ou trans (entre autres) et qui sont parmi les premières à les critiquer. Après tout, quand on subit parfois plusieurs oppressions à la fois, on n’a tout simplement pas le temps de prendre leur merde au sérieux. On commencera par l’analyse de certaines idées qui animent ces têtes pensantes de la révolution, notamment « l’antiracialisme » et plus largement une opposition caricaturale à tout ce qui est considéré comme une volonté d’appartenance à une « identité » ou une « communauté« [1], car iels voient dans toute solidarité entre opprimées et toute forme d’auto-organisation sans oppresseur-es le spectre de la contre-révolution.
« Les Fleurs » ont causé un nombre considérable de dégâts (principalement en région parisienne, mais pas uniquement) avec une constance presque admirable depuis plusieurs années. Une grosse partie de celleux qui ont fréquenté des squats, des occupations étudiantes, des assemblées autonomes ou des espaces de discussion anarchistes ont des histoires à raconter au sujet de leurs méthodes de gestion des critiques. Leurs comportements ont intimidé et degoûté plus d’un-e de la lutte, mais iels continuent à s’imposer dans tous les espaces physiques et virtuels qui leur restent accessibles.
En parlant des Fleurs, on parle forcément de leurs nombreux outils de diffusion, parfois éphémères, parfois plus durables. Par le passé, il y a eu la revue Des Ruines. Actuellement, il y a les éditions Ravage, dont les textes signés Aviv Etrebilal ou Maria Desmer servent de base théorique à ce groupe), les Feuilles antarctiques, le journal Mauvais Sang, la radio Mad Max, une « base de données anarchistes » Non-Fides (site allié) ou encore des discussions publiques que les Fleurs organisent. Iels utilisent également les réseaux sociaux de leurs groupes de musique, Non Serviam, Biollante et Gobscrew, ainsi que des comptes twitter personnels, tous liés entre eux et qui agissent en bloc à la moindre critique. (Si cette courte liste est nécessaire, c’est que les Fleurs changent de plate-forme au gré des circonstances pour retaper leur façade politique et idéologique.)
Même si les Fleurs prétendent parfois ne pas constituer un groupe au sens propre, on y voit uniquement un moyen de donner l’impression d’une certaine ouverture aux autres lors des évènements publics. Il s’agit pourtant d’un groupe dont les membres agissent le plus souvent ensemble, cherchant constamment sans l’admettre un certain pouvoir sur des situations où il voit une potentialité de débordement.

Petit détour historique : les héritier-es des ‘anti-racialistes’ islamophobes de la Discordia

Avant les Fleurs arctiques, il y a eu la bibliothèque anarchiste Discordia. Créée en 2015, elle s’est arrêtée en 2017. Les Fleurs arctiques ont alors vu le jour, récupérant les fonds de la Discordia, ses idées ainsi qu’une partie de ses membres et de son réseau.
Dans un contexte où, après les attentats contre Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher et le Bataclan, l’Etat français multiplie les lois et réformes sécuritaires racistes et islamophobes visant en premier lieu les quartiers populaires, la Discordia se fait rapidement connaître pour ses prises de position virulentes contre le lexique et les pratiques mises en avant par des militant-es antiracistes. Iels ne supportent notamment pas la tenue d’espaces en mixité choisie entre personnes qui subissent des oppressions concrètes, ni les termes « racisme systémique », « islamophobie », « personnes racisées » ou encore « blanchité ».
A ce moment-là, la classe dirigeante et les éditorialistes engagent la responsabilité collective des musulman-es des attaques djihadistes. La réponse politique est toujours la même : une volonté d’assimiler les ancien-nes ou les nouveaux-elles colonisé-es, celleux qu’on perçoit comme l’ennemi intérieur ou un corps étranger voire pathogène. La gauche institutionnelle prend la relève de la droite radicale : main dans la main, elles multiplient la présence policière dans les banlieues, la surveillance et les expulsions des personnes qu’elles estiment « radicalisées », organisent la chasse aux femmes voilées, aux rites musulmans et à la bouffe halal, essayent d’empêcher des mères d’accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires, incitent les profs à balancer des enfants aux flics, plus récemment enfin dissolvent des associations antiracistes et solidaires dans les quartiers.
Le milieu libertaire, qui n’avait que trop peu réagi aux lois de 2004 et de 2010 prenant pour cible les femmes voilées, se retrouve maintenant divisé sur la question de l’islamophobie. D’un côté, certaines commencent à utiliser ce terme afin de saisir les contours idéologiques de cette offensive raciste[2], ce qui provoque une levée de boucliers de la part de celleux pour qui la critique de toute religion doit primer sur tout le reste.[3] Les anti-cléricaux les plus radicaux pour qui « ni Dieu, ni maître » devient une formule incantatoire à prendre au pied de la lettre n’ont que ça à la bouche en réponse à la persécution des musulman-es (en France ou ailleurs). Ces personnes ou groupes semblent ne pas voir que le type d’universalisme qu’elles prônent est directement issu de celui de la « mission civilisatrice », la matrice idéologique de la colonisation d’une bonne partie de plusieurs continents.
Précisons que notre but ici n’est ni de resusciter le débat éternel sur l’Islam au sein des milieux « radicaux », ni de considérer que la critique de la religion instituée comme n’étant pas nécessaire au projet révolutionnaire. On s’épuise à répéter que soutenir des personnes opprimées dans la lutte contre leur oppression, dont la foi supposée devient un marqueur d’altérité et les expose à une stigmatisation quotidienne, n’équivaut pas à cautionner les élites ou les institutions religieuses. Dans certains cas, la confusion entretenue à l’égard de ce qu’est la « religion », qui met dans le même panier toutes sortes de croyances et de rites—communautaires ou individuels, souvent hétérogenes (et parfois en contradiction directe avec les institutions cherchant à les encadrer),—nous paraît volontaire. On se limitera donc simplement à souligner que cracher sur les croyances ou les pratiques d’autres gens avec le dédain propre à certain-es anarchistes, sans chercher d’abord à comprendre quelles dynamiques sociales y sont à l’oeuvre, d’autant plus au moment où l’Etat les surveille, enferme et expulse massivement pour ces mêmes croyances, ne fait pas de vous des anti-cléricaux radicaux et conséquents, mais tout simplement des connards qui pratiquent la solidarité à deux vitesses. Accepter de jeter en pâture à l’Etat des compagnon-nes sous prétexte que leurs idées ne sont pas assez révolutionnaires ne fait rien pour avancer la critique de la religion, c’est un moyen bien efficace en revanche pour dégoûter une partie des opprimé-es de l’anarchisme tel que nous le pratiquons et pour blanchir nos milieux.[4]
Or, c’est précisément ce que fait Discordia. En janvier 2016, celle-ci organise une discussion publique sur l’islamophobie, dont l‘éloquent sous-titre est « du racket conceptuel au racket politique ». Les textes qui l’accompagnent, notamment un traité de 60 pages intitulé « Nos révolutionnaires sont des gens pieux » signé Cassandre (celle qui prédit l’avenir mais qu’on ne croit pas, rien que ça), transpirent la condescendance envers les personnes racisées, terme que l’auteur-e met entre guillemets, le récusant et le qualifiant de « postmoderne ». Aux musulman-es, Cassandre enseigne que, pour être un-e bon-ne révolutionnaire, il faut à tout prix abandonner sa foi, s’assimilant cette fois-ci non pas à la culture républicaine, mais à celle de l’anarchisme occidental. Les Noir-es qui parlent de la négrophobie, quant à eux, sont comparé-es a des « ethno-différentialistes » (terme inventé par des penseurs de l’extrême-droite pour donner un fondement idéologique au séparatisme blanc, c’est-à-dire le droit des personnes blanches de former une ethnie homogène en chassant tous-tes les autres). C’est plutôt récurrent que, dans le discours de la Discordia/des Fleurs arctiques, les antiracistes deviennent des réactionnaires et des fachos au même titre que ceux qui parlent de racisme anti-blanc. Seulement celleux qui refusent le vocabulaire de l’ennemi, celui de la « division » des opprimé-es (des mots dont se servent des personnes minorisées pour nommer les oppressions spécifiques qu’elles vivent) ont le droit de se considérer anti-racistes. Les propos ayant attiré notre attention sont trop nombreux pour tous les reproduire ici. Nous vous proposons donc une sélection de quelques extraits accompagnés du lien vers le texte complet en annexe de cette brochure.
La réaction ne se fait pas attendre. Dans la nuit qui précède la discussion sur l’islamophobie, la devanture de la bibliothèque est taguée avec des inscriptions « fafs » et « racistes ». Discordia sort un communique dans lequel elle persiste et signe, se moque des « nouveaux réactionnaires » et de la « gauche racialiste/théocompatible ». On y lit qu’un texte de revendications avait été laissé sur place, mais il n’est pas cité en entier.
Le même scénario se répétera plusieurs fois. A chaque tag ou presque, la bibliothèque pond un nouveau communique (on dirait un concours d’éloquence), comme en février 2016 où un « racistes go home » apparaît sur le trottoir et un pot de peinture est projeté contre la façade. On y apprend, entre autres, « que ces quelques dégradations ne sont qu’aveux d’incapacité à défendre des positions dans les règles de l’art (par la critique argumentée ou la confrontation physique contre des individus, pas des murs) ». Comme si la lutte contre les oppresseurs ou leurs complices devait être un art et non pas une question de survie politique.
Enfin, en avril 2016, les vitrines de la Discordia sont attaquées a coup de marteau, ce qui est accompagné d’un tag « racistes ». Cette fois-ci, le communique en réponse appelle à une solidarité publique et large de tout le milieu anarchiste non seulement avec la bibliothèque, mais avec son projet théorique ‘antiracialiste’ (courant de pensée politique qui s’oppose à toute vision ‘racialisée’ de la société, plutôt porté par des antiracistes proches de la LICRA, que les discordistes/Fleurs ont contribué à importer au sein du milieu anarchiste en le radicalisant). La Discordia se permet au passage un jugement clairement validiste vis-à-vis de ses ennemis, qui n’auraient tout simplement pas saisi la pensée révolutionnaire trop complexe de la bibliothèque.
Casser les vitres d’une bibliothèque anarchiste comme un enfant casse un Rubik’s Cube qu’il ne parvient pas à résoudre, par inconséquence, par défaut d’intelligence et de maturité, et dans ce cas précis, on pourra parler de débilité légère, est bien l’attaque la plus glorieuse de l’année, même pas foutue d’être revendiquée, et donc expliquée, argumentée, assumée politiquement. On préfère racler les fonds de poubelles. Aujourd’hui, les idiots du village alternatif ont encore « frappés ».
On peut proposer une hypothèse alternative : certain-es n’ont peut-être tout simplement pas de temps à perdre à passer des heures sur des débats abstraits « sur l’idée de la race », alors qu’iels vivent le racisme tous les jours, a fortiori avec des gens qui ne vont jamais changer d’avis, l’entièreté de leur capital politique reposant sur ce rejet et leur prétendue ouverture à la discussion leur étant seulement utile pour mieux aiguiser leur propre rhétorique (ce dont ont pu témoigner personnellement certain-es des auteur-es de ce texte suite à des discussions publiques ou semi-ouvertes auxquelles iels ont pu participer).
On pensera ce qu’on veut des attaques en elles-mêmes et on comprendra celleux que le mode d’action met mal à l’aise. Précisons seulement qu’au fil de la lecture des différents communiqués, il nous paraît que les messages des attaquant-es en question sont très clairs. Que fait la Discordia en réponse ? Elle cherche à faire passer leurs auteur-es pour des confus et des ennemis de l’anarchisme et à s’octroyer un soutien indéfectible d’une partie du milieu (vous voyez ce dont sont capables les racialistes ??) s’attribuant au passage le mérite d’être l’ »un des seuls endroits publics du milieu » où s’exprime « un antiracisme conséquent » (téma la taille de l’égo).
Toute cette séquence politique se clôture par une discussion antiracialiste organisée à Marseille en octobre 2016 dans le local associatif Mille Bâbords en présence des membres de la Discordia. Le sujet est un pamphlet de quelques paragraphes qui déplore qu’ »aujourd’hui, refuser les termes de « race » ou « d’islamophobie » expose à l’infamante accusation de racisme, visant à étouffer ainsi toute possibilité de débat, de critiques et de refus. » Des antiracistes locaux s’invitent alors à la discussion avec des tracts, une gazeuse et des boules puantes, lancent quelques coups et quelques tracts, laissant au passage des tables renversées et quelques vitrines éclatées (selon la version de la Discordia/des Mille Babords). Les membres de la Discordia qui avaient jusque-là regretté que les oppositions à leurs idées se manifestent à travers des attaques contre les murs et non pas contre des personnes, comme il en est convenu « dans les règles de l’art », ont dû depuis avoir changé d’avis, vu qu’iels publient cette fois-ci des communiques choqués dans lesquels sont dénoncés des « actes extrêmement graves » et certains de leurs soutiens les plus renommés les enjoignent même à porter plainte.
Le texte de revendication de l’action dit (entre autres) ceci :
Nous revendiquons notre autodétermination, notre émancipation, notre libération par et pour nous-mêmes. Nous n’avons pas besoin de votre validation quant aux termes que nous utilisons pour définir qui nous sommes, ce que nous sommes et pourquoi nous luttons.
A propos de cette attaque-là et des précédentes, la « revue anarchiste apériodique » Des Ruines remarquera dans une note de bas de page dans le double numero 3-4, qu’il « s’agit [de la part des attaquant-es] de salir ceux qui refusent l’hypothèse d’une unité avec les croyants musulmans, ou autres. » Pour une fois, lobjectif est exposé de manière complètement transparente. Attention, ici se prépare la revolution, la vraie et le tri se fait en amont: athé-es bienvenu-es, aux croyant-es de toute sorte s’abstenir !

La ‘colorblindness’ à l’assaut de l’intelligence : nos anti-racialistes ont du talent

En faisant des recherches pour voir si la phrase « racistes go home » de la deuxième attaque n’était pas une référence qui nous avait échappé, nous sommes effectivement tombé-es sur le site web « racialistes go home » datant de septembre 2015. Ce blog, sans trop de doutes impulsé par des proches de la Discordia, n’accueille qu’un seul texte, « Tiens, ça glisse » : une longue non-réponse à l’article « Pour une approche materialiste de la race » publié par Vacarme, lui-même une réponse critique au PIR (Parti des Indigènes de la Republique). En cherchant un peu plus, on voit que « Tiens, ça glisse » figure en 3e place dans la liste des lectures suggérées par la Discordia pour une discussion publique s’intitulant « Ni racisme, ni racialisme, ni races : Sur la récupération du racisme par la gauche (et vice-versa) » qui s’est tenue à la bibliothèque en novembre 2015. Il paraît plutôt évident que celleux qui ont tagué le local avaient bien pris le temps de se renseigner sur leur cible.
« Go home » (rentre chez toi) est à l’origine un slogan anti-immigré-es, rapidement récupéré par des antiracistes qui le retournent contre les xénophobes. Utilisés contre des « racialisateurs », et en l’occurrence les auteur-es de Vacarme, qui se définissent elleux-mêmes comme des musulman-es et Juif-ves algerien-nes, ces mots seraient alors équivalents à une provocation raciste ou, si l’on voulait encore être bienveillant-es, une pique particulierement maladroite. En suivant leur logique tordue, on peut imaginer que les antiracistes qui utilisent le mot « race » étant les vrais racistes, leur dire de rentrer chez eux n’est qu’une riposte « anti-raciste conséquente ». Cela paraît completement hors-sol, mais ça résume pourtant l’arsenal rhétorique des discordistes.
Dans la liste des provocations racistes (ou antiracistes ? on s’y perd), on peut aussi ajouter la première illustration du texte : une olive de couleur claire (?) qui découvre que sa pote olive de couleur sombre est victime d’exclusion raciste et décide de se mettre au blackface pour la soutenir (???). Est-ce une allegorie de la pratique antiracialiste qui rejette la logique des premier-es concerné-es et postule que n’importe quelle personne qui se révolte contre une oppression est autant concernée par elle que toutes les autres ? C’est presque drôle compare au reste des illustrations, qui instrumentalisent les pires incarnations du racisme comme la Shoah ou le génocide des Tutsis au Rwanda pour les présenter comme une suite logique de…l’utilisation du mot « racisé-e » par les antiracistes ? Mais ne soyons pas choqué-es par ces futilités et penchons-nous plutôt sur le contenu des deux textes qu’on peut lire côte à côte.
Dans leur article, les auteur-es de Vacarme s’attaquent au déni du racisme systémique par la gauche, en tirent des conclusions pertinentes et riches concernant les luttes sociales, même si on peut ne pas partager certains constats (par exemple le fait que « l’histoire coloniale est derrière nous » vu ce qui se passe dans les DOM-TOM : on pense par exemple à l’opération Wuambushu à Mayotte). Les auteur-es réussissent à articuler de manière nuancée la lutte contre l’islamophobie et celle contre l’antisémitisme à un moment où le déni de l’une ET de l’autre oppression abonde dans la plupart des espaces politiques. Nous ne pouvons que recommander la lecture attentative de cet article, en remerciant feu la Discordia pour la découverte.
Les antiracialistes, en revanche, se laissent aller à leur passion préférée et évitent soigneusement les arguments de fond pour s’intéresser uniquement à l’aspect sémantique, c’est-à-dire énumérer les fois où les auteur-es utilisent le mot « race », « racisé-e », ou d’autres mots ayant la même racine. Si on fouille un peu les archives de la Discordia (on ne conseille pas, à moins que vous ayez beaucoup de temps à perdre), on se rend vite compte que leur antiracisme se réduit à ce vernis sémantique : combattre les apparitions des derivées du mot race dans le vocabulaire militant. Parmi les quelques rares contre-arguments précis que nous avons réussi à dénicher, la totalité sont d’une nullité telle qu’on a presque honte de leur consacrer du temps de réponse. Penchons-nous cependant sur un exemple, car c’est important de montrer sans équivoque les positions adverses.
La toute première phrase d’introduction à l’article de Vacarme affirme que des « morts en Méditerranée en passant par les émeutes de Baltimore jusqu’aux menus faits quotidiens de la vie métropolitaine, tout nous ramène à la question raciale. »
En réponse, nos anti-racialistes font couler de l’encre sur plusieurs paragraphes pour monter que la question raciale n’y est pour rien. Cela paraît compliqué ? Eh bien, accrochez-vous.

Quels rapports, quelle « articulation », si chère à nos matérialistes de papier, pourrait-on bien établir entre le fait de passer les frontières illégalement et massivement, malgré les difficultés, les coûts de tous ordres et les risques de toutes natures et la « race » ? En quoi le fait que des prolétaires extra-européens se mettent en danger pour passer des frontières qu’ils ne peuvent prétendre passer légalement, nous ramène-t-il « à la question raciale » ? […]

…on peut dire par exemple que le sort des migrants est bien plutôt le résultat de l’affrontement entre la force réelle de la migrance et le projet de gestion par le système capitaliste des flux de main d’œuvre incarné de manière variable par les politiques mises en place à l’échelle des états et d’ensembles plus vastes comme Schengen (et non par un quelconque « système raciste »). Si l’on passe par le cas français d’ailleurs, il est clair que la politique mise en œuvre en général, et en particulier pour gérer les migrants, n’est pas raciale. Comprendre cette politique au niveau européen par exemple passerait plutôt par le renouvellement des analyses qui ont pu être proposées il y a plus de 10 ans, qui mettaient en tension le discours sur la fermeture des frontières (accompagnée des spectaculaires et vaines constructions de murs et mises en place de barbelés) avec la réalité des pratiques étatiques et d’exploitation à l’encontre des migrants.

Pourtant, la phrase à laquelle répondent ces paragraphes est d’une évidence presque banale pour tous-tes celleux qui voient des milliers de migrant-es chaque année périr lors des naufrages aux portes de l’Europe, souvent avec la collaboration active des garde-côtes et dans l’indifférence générale des dirigeant-es ou des élites occidentales. Bien évidemment, d’autres facteurs que le racisme sont aussi à prendre en compte : dans le cas des « migrant-es économiques », leur voyage périlleux et les nombreuses violences subies aident à faire d’elleux une main-d’oeuvre sans droits que le capital peut exploiter à l’envie, ce qui arrange finalement pas mal de monde. Mais même cette logique-la est inexplicable, si on ne part pas du principe que les vies d’une certaine partie de la population mondiale sont d’emblée considerées comme étant complètement dispensables, car surnuméraires, par une majorité de la société, y compris de larges pans de la classe ouvrière blanche. Impossible de le comprendre sans parler d’assignation raciale, c’est-à-dire des critères certes arbitraires et pas choisis, mais qui, aux yeux des méga-structures racistes que sont les Etats permettent d’arbitrer entre qui mérite de vivre et qui peut périr, souvent sans même qu’on se soucie de retrouver le corps.
Les membres d’un des bastions principaux de l’antiracisme conséquent dans la capitale ont visiblement du mal à voir que « le projet de gestion par le système capitaliste des flux de main d’œuvre incarné de manière variable par les politiques mises en place à l’échelle des états et d’ensembles plus vastes » est précisément ce « systeme raciste » dont iels décrient l’inexistence. Soupir. Comment argumenter contre ce niveau de déni ? Comment peut-il être clair dans le cas français que « la politique mise en oeuvre (…) pour gérer les migrants » n’est pas « raciale » à moins de sciemment fermer les yeux sur des décennies de lois racistes régissant les conditions de vie des immigré-es ?
En 1997, en opposition à la loi Debré, qui autorisait la rétention des passeports des personnes « en situation irréguliere » et l’ajout dans des bases de données les empreintes digitales de celleux qui demandaient un titre de séjour, pour ne prendre que cet exemple-là, une vingtaine de rappeurs, dont ceux qui composaient IAM et le Ministere A.M.E.R., se sont rassemblé-es pour sortir 11’30 de son engage « contre les lois racistes ». L’objectif était entre autres de lever des fonds en soutien au Mouvement de l’Immigration et des Banlieues, une initiative antiraciste autonome, contrairement à SOS Racisme, chapeauté par le Parti Socialiste. Le son affirme clairement dès l’intro :

Loi Deferre, loi Joxe, lois Pasqua ou Debré, une seule logique : la chasse à l’immigré. Et n’oublie pas tous les décrets et circulaires. Nous ne pardonnerons jamais la barbarie de leurs lois inhumaines. Un État raciste ne peut que créer des lois racistes.

En réponse, ces rappeurs appelent à une « régularisation immédiate de tous les immigrés sans papiers et de leurs familles« , à une « abrogation de toutes les lois racistes régissant le séjour des immigrés en France » et revendiquent « l’émancipation de tous les exploités de ce pays. Qu’ils soient français ou immigrés« .
Un quart de siècle plus tard, les anti-racialistes considèrent toujours que reconnaître que l’Etat est foncièrement et structurellement raciste (et pas juste qu’il mobilise le racisme en tant qu’idéologie désincarnée) ne peut que déboucher sur un projet de type ‘identitaire’. En général, faire à ce point une fixette sur un prétendu risque identitaire quand on te parle de l’émancipation des racisé-es est plutôt caractéristique d’un  positionnement raciste, en aucun cas d’ »anti-racisme conséquent ».
Malgré le discours républicain effaçant les mentions de la race jusque dans la Constitution,[5] la gestion de la main-d’oeuvre par l’Etat et le capital est tout sauf « colorblind ». C’est ce que souligne le texte de Vacarme en donnant pour exemple le secteur du bâtiment. Inutile de se le cacher pour mieux rassembler tous-tes les opprimé-es en dépit de leurs divisions, car tout le monde en est conscient, en commençant par l’ouvrier-e en question et jusqu’à son patron. Ce qui est vrai pour le BTP reste vrai partout et en particulier dans tous les secteurs « sous tension », et ce depuis des décennies. Nous pensons, par exemple, à la hiérarchie raciale à l’oeuvre au sein de l’industrie automobile, en particulier dans le système Citroën dans les années 60-70 (décrite entre autres par Robert Linhart dans L’Etabli, [6]).

A la première occasion, je me renseignerai sur les principes de classification de Citroën. Quelques jours plus tard, un autre ouvrier me les donnera. Il y a six catégories d’ouvriers non qualifiés. De bas en haut : trois catégories de manœuvres (M. 1., M. 2, M. 3) ; trois catégories d’ouvriers spécialisés (O. S. 1, O. S. 2, O. S. 3). Quant à la répartition, elle se fait d’une façon tout à fait simple : elle est raciste. Les Noirs sont M. 1, tout en bas de l’échelle. Les Arabes sont M. 2 ou M. 3. Les Espagnols, les Portugais et les autres immigrés européens sont en général O. S. 1. Les Français sont, d’office, O.S.2. Et on devient O. S. 3 à la tête du client, selon le bon vouloir des chefs.

La « racialisation » ou, comme on dit parfois en France pour éviter justement tout dérivé du mot « race », « l’ethnicisation » à l’oeuvre dans l’industrie automobile est seulement une image miniature de celle qui se joue au niveau de la societé toute entière. Celle-ci crée une sous-couche racisée du prolétariat qu’on peut toujours licencier massivement et renvoyer au pays en cas de manquements disciplinaires (on parle alors de la « double peine »). Dans l’automobile, on les appelait à l’époque « les OS à vie », car toute possibilité d’ascension sociale leur était inaccessible. Leur présence même sur le sol français suscitait des remous violents autant de la part de l’extrême-droite que des institutions, dès lors que la France traversait une crise sociale ou bien en réponse aux mobilisations des travailleur-euses étranger-es elleux-mêmes. Nous pensons notamment aux grèves des OS immigrés de Talbot-Poissy en 1982-84, auxquelles la gauche au pouvoir réagit en évoquant d’ores et déjà une radicalisation par l’Islam, un traitement qui lui permet de discréditer complètement les luttes porté-es par des ancien-nes colonisé-es, notamment des maghrébin-es, sans même les considérer comme des luttes sociales à proprement parler. En témoignent les paroles de Jean Auroux, Ministre du Travail à cette époque.
« Il y a, à l’évidence une donnée religieuse et intégriste dans les conflits que nous avons rencontrés, ce qui leur donne une tournure qui n’est pas exclusivement syndicale. »
« Un certain nombre de gens sont intéressés à la déstabilisation politique ou sociale de notre pays parce que nous représentons trop de choses en matière de liberté et de pluralisme »
Au-delà d’une « mentalité » raciste, cela traduit bien la place spécifique accordée à ces immigré-es (et plus tard à leurs enfants et petits-enfants) au sein de la société structurellement raciste : simultanément intégré-es dans les industries capitalistes, dans l’urbanisme des foyers et des cités et, pour autant, exclu-es de la vie politique et sociale d’une manière qui met en évidence leur statut inférieur aux autres, y compris aux autres prolétaires. Si le mode de production capitaliste repose sur l’exploitation des prolétaires, tou-tes ne le sont pas au même titre, et le marché du travail, entre autres espaces d’assignation raciale, est loin d’être homogène. Cela fait penser entre autres aux paroles de Stuart Hall, qui, dès 1978, écrit que la race est « la modalité dans laquelle la classe est « vécue », le moyen par lequel les relations de classe sont expérimentées, la forme dans laquelle elle est appropriée et à travers laquelle la lutte des classes est menée ».
Nous convoquons ces extraits et ces fragments de l’histoire des luttes uniquement car ils nous aident à montrer, de façon certes parcellaire, que le capital et l’Etat articulent depuis longtemps la classe et la race, que les anti-racialistes le veuillent ou non. Au fil des années, ces derniers alternent entre un discours qui cherche à retrouver une mythique unité de tous-tes les exploité-es d’un point de vue de la classe (qu’iels n’assument jamais complètement, car ça fait penser au PCF et personne n’aime le PCF) et une rhétorique plus individualiste qui nie ou minimise à l’extrême toutes les déterminations sociales, les deux jouant ici le même role : empêcher de penser, en les effaçant, les inégalités de statut parmi les opprimé-es.[7]
La mouvance dans laquelle s’inscrivent Discordia/Fleurs arctiques a ainsi plusieurs décennies, voire siècles de retard. La plupart des antiracistes, souvent en désaccord les un-es avec les autres sur les stratégies à adopter, réfléchissent à comment mieux articuler la classe, la race et le genre pendant que les institutions racistes ne cessent de muter, mais refusent de disparaître. Quant à nos lanceurs d’alerte, iels se battent encore contre l’arrivée même de l’idee de la race, un phénomène largement accompli depuis l’époque moderne. Cette « idée » n’en est plus une : elle ne peut plus être envisagée en dehors des rapports sociaux qui la recréent matériellement et qui influent sur l’ensemble de nos vies jusqu’à notre mort.
Bien évidemment, constater est une chose ; ce qu’on en fait est quelque chose de très différent. Pour revenir à l’article de Vacarme, ses auteur-es écrivent à ce sujet : « Même si la lutte ne fait pas immédiatement l’unité de tous les segments de classe. Quand la lutte monte, les segmentations sont de moins en moins signifiantes. À condition que le segment le plus bas soit pris en compte« .
Nous ne prétendons pas reunir tous-tes les opprimé-es sous une bannière commune, ni imposer notre vision politique à tous-tes, encore moins à coup de textes au langage universitaire. Nous trouvons simplement que l’espoir en la lutte radicale, qui prendrait en compte les différentes situations d’oppressions vécues dynamiquement par les minorités les plus marginalisées, est bien plus désirable que l’attitude préférée des anti-racialistes consistant à se boucher les oreilles et à couvrir les yeux de ses mains devant toute manifestation objective de la racialisation, en espérant qu’en criant assez fort et en bannissant certains mots, celle-ci va finir disparaître tel un fantôme.

Le PIR, les bouteldjistes et la tactique de l’épouvantail

Si vous avez suivi jusque-là, vous pouvez légitimement vous demander comment ce groupe arrive à rester à flot politiquement malgré des analyses et des stratégies politiques aussi foireuses. On ne prétend pas avoir toutes les réponses, mais voici une hypothèse qui pourrait l’expliquer en partie.
Assez vite, le mouvement antiracialiste s’attribue un ennemi principal, sur lesquel il concentre énormément d’energie, en lui consacrant beaucoup de textes, voire des livres entiers (accompagné lui-même de quelques ennemis secondaires). Tant que ces nemesis existent, certain-es iront toujours s’intéresser aux thèses anti-racialistes et les trouver pertinent-es. Comme les discordistes/fleurs s’attaquent à des groupes qui, comme elleux, n’ont pas l’air de vouloir crever ni d’évoluer, ce combat peut durer des années. On craint fort d’assister en 2033 aux mêmes débats pourris entre deux groupes de réacs qui se battent pour une sorte d’hégémonie culturelle au sein des milieux d’extrême-gauche, tout en cherchant à s’en distancier, en montrant qu’ils sont meilleurs que le reste. (On espère que l’écho qu’aura ce texte contribuera à nous sortir de cette perspective cauchemardesque et nous aider à construire un mouvement réellement offensif et radical, car prenant en compte nos diverses dominations et rejetant les stratégies de pouvoir déployées au sein de nos propres milieux.)
Pour nos Don Quichotte de l’anti-racialisme, ce rôle de némésis est joué par le PIR (Parti des Indigènes de la République). Co-fondé par Houria Bouteldja, ce mouvement est connu pour avoir poussé au devant de la scène médiatique à la fin des années 2000 un anti-racisme politique qui s’attaquait non pas aux symptômes du racisme (comportements et actes individuels) mais à leur source (le racisme systémique qui traverse toutes les institutions étatiques et sociales). Aujourd’hui, c’est un constat plutôt consensuel parmi les antiracistes à part peut-être les plus libéraux ou les plus anti-racialistes (en dehors du milieu anarchiste, les deux vont fréquemment ensemble, [8]).
En revanche, Bouteldja ne s’est pas limitée à ce constat, mais a décidé de se servir des stratégies politiciennes et de devenir une porte-parole auto-proclamée d’une « puissance indigène » complètement fantasmée qu’elle a opposée à la fois aux blanc-hes et aux Juif-ves (puis, dans un contexte électoral où elle a cherche à rallier les quartiers populaires derrière Mélenchon, d’un « bloc indigène« ).
Même si elle a pu être une figure importante dans le développement du discours antiraciste en France à une certaine époque, elle est aujourd’hui surtout connue pour ses prises de position volontairement polémiques et qui sont à juste titre dénoncées comme étant antisémites, misogynes et homophobes.[9] Son influence est marginale, surtout médiatique et pas mal liée au bad buzz. Elle a fini par quitter son propre parti, mais ses liens avec Eric Hazan de la maison d’édition la Fabrique continuent à lui assurer une certaine notoriété à chaque nouvelle niaiserie qu’elle souhaite faire publier. Grâce à une utilisation intelligente de certains réseaux sociaux, notamment Twitch et YouTube, ses disciples, Wissam Xelka en tête, arrivent parfois à percer temporairement avec le média Paroles d’honneur, ou au moins naviguer sur le bad buzz que les déclarations fracassantes de Bouteldja ne manquent pas de susciter. Iels ne soulèvent toutefois pas les masses, ou plutôt les « masses » ne les attendent pas pour se soulever et n’ont aucun respect pour leurs mots d’ordre, si tant est qu’elles les connaissent. Quand les quartiers populaires s’embrasent partout en France, comme c’était le cas fin juin-début juillet après le meurtre policier de Nahel, les violences policières servant de déclencheur à une révolte beaucoup plus large dirigée contre la police et la justice, le racisme et la vie chère, les « bouteldjistes » sont réduit-es à chercher vainement à se les approprier après coup pour canaliser les émeutier-es sous leur giron républicain.
Bouteldja, Xelka et compagnie restent très décrié-es au sein même des milieux antiracistes et décoloniaux, et peineraient à exister s’iels ne rebondissaient pas sur chaque polémique dans laquelle se vautrent leurs ennemis. Il n’en reste pas moins que nos révolutionnaires anti-racialistes de pacotille continuent à considérer que c’est cette clique qui continuerait à tirer les ficelles de l’antiracisme, définissant ses pratiques et ses analyses.
Le combat anti-racialiste contre les « indigénistes » est en quelque sorte inauguré en 2015. Pour fêter les 10 ans du PIR en 2015, à l’occasion d’un meeting organisé par le MAFED (Marche des Femmes pour la Dignité) à la Bourse du Travail de Saint-Denis, les anti-racialisateur-ices revendiquent des tags sur la bourse, parmi lesquels : « Ni religion, ni racialisation, vive le communisme« , « Nique la race, vive la lutte des classes, red panthers« , « Ni dieux, ni races, ni maîtres ! » (on dirait un sort) ou encore « Racialisteurs vous êtes des microfascistes« . #ClassFirst
Les discordistes publient quatre autres textes au même moment ciblant la marché pour la dignité, à laquelle le PIR est présent, dont iels placardent le parcours des messages du type « racialistes go home ». Ces messages vivent non seulement les membres du PIR présentes dans la marche, mais aussi le collectifs afroféministe MWASI et bien d’autres.
Clairement, y’en a qui ont du temps a perdre. En parlant de ça, en 2016 sort même un livre de 236 pages entièrement dédié au PIR et à ses potes, qui s’appelle La Race comme si vous y étiez, signé « Les amis de Juliette et du printemps« , défendu et distribué par la Discordia. En plusieurs chapitres et interludes que les auteur-es appellent « intersections » comme pour mieux se moquer des militant-es qui parlent d’intersectionnalité, les amis de Juliette démontent les analyses de Bouteldja à travers notamment un récit détaillé de la soirée de lancement des Blancs, les Juifs et nous en présence de Bouteldja et d’Eric Hazan, ainsi qu’un compte-rendu de lecture du livre en question. Même si les propos cités sont effectivement nauséabonds et qu’on ne retrouve rien à redire au fait de les critiquer, la démarche interroge. Si le but est de rendre plus accessible la critique des thèses du PIR, pourquoi ne pas se limiter à produire des textes plus courts et plus lisibles qui prendraient pour cible l’antisémitisme bien documenté de ses dirigeant-es et qui pourraient être reproduits plus largement ?
La réponse se glisse entre les lignes et plus clairement encore dans la postface (« A propos de tous ceux qui considèrent qu’ils n’ont rien à voir avec le PIR mais s’appliquent à en utiliser les catégories et la novlangue« ). La lecture de ce pamphlet est censée représenter une sorte de voyage dans un monde « racialisé » qui en montrerait les pires dégâts. Ce qu’on est censé-es en conclure (car, bien évidemment, pas de place à la nuance : les conclusions sont toutes prêtes), c’est que les « racialisateurs » (ce mot figure sur à peu près chaque page), quels qu’ils soient, sont les allié-es objectif-ves des antisémites notoires.
On ne peut que rejeter dans son ensemble une telle instrumentalisation de l’antisémitisme, qui tire un trait d’égalité entre les néo-nazis et les personnes racisées qui se définissent comme telles, en prétendant que dans les deux cas il s’agit d’un « identitarisme » à éradiquer. Ce n’est pas parce qu’un-e racisé-e cesserait de se voir comme tel-le que le racisme exercé à son rencontre s’évaporerait : on lui ôterait seulement des outils qui pourraient lui servir dans sa lutte. L’autre pendant tout aussi réactionnaire du discours anti-racialiste est une récusation systématique de tout ce qui relève de la blanchité : il n’y a donc plus de blanc-hes, plus de blanchité, de pouvoir blanc, ou encore de suprémacisme blanc – à moins de parler du Ku Klux Klan.[10] Dans un paragraphe plein de sophismes propres à des traités anti-woke qui pullulent dans les colonnes de la presse de droite, les auteur-es de La Race comme si vous y étiez expliquent que ‘le racisme est de toutes les couleurs’ (en gros) et qu’ainsi les privilèges blancs sont inexistants.

Une partie des pauvres de France, qui peuplent les banlieues et les prisons, et que Bouteldja considère de façon ridicule comme « blancs » devront donc abandonner leurs «privilèges politiques, symboliques, économiques» au profit de « non-blancs » tout aussi imaginaires, voilà un combat qui nous parle bien peu, car il suffit de constater que la domination et le racisme n’ont aucune couleur exclusive, qu’ils appartiennent à tous et que ce qui nous importe est bien plus social et en tout cas pas « racial » ou même sociologique, et encore moins biologique ou sociobiologique. Parce que les races n’existent que dans la tête des racialistes, cette sorte particulière de racistes, et qu’il ne nous intéresse pas de les faire exister. Dans la lutte contre ce monde, nous ne pouvons accepter aucun essentialisme, aucune assignation identitaire, y compris construite sur des catégories sociales. La révolution est un pas franchi dans la tension vers un monde où il n’y a plus de frères, de sœurs, de familles, d’identités, de communautés, de sociétés, de casernes, de religions, de classes. Sur ce chemin, il y a de l’engagement, des choix, des associations, pas de la ségrégation, des génomes et des ADN.

pp.67-68

Ce passage est un tel fourre-tout qu’il obtiendrait sans doute la première place dans un concours de mauvaise foi et qu’on peut aisément le qualifier de confus. Il est impossible et absolument inutile de chercher à le démêler. Disons simplement que l’opposition entre le « social » et le « racial ou même sociologique » n’a que peu de sens : la race est bien un phénomène social qui récupère des traits biologiques arbitraires en leur donnant un sens, mais qui les construit aussi. Ce n’est pas de la magie, mais la force de l’assignation sociale, et on ne la combat pas en niant qu’elle existe, ni qu’elle est structurante dans nos vies.
La blanchité est réservée à celleux qui ont le privilège de ne pas ressentir cette assignation raciale dans la vie de tous les jours, il s’agit de celleux qui peuvent donc ne pas voir les couleurs. Si vous vous reconnaissez dans cette description, félicitations, vous êtes un-e blanc-he.[11] Les auteur-es de ce brûlot ont l’air de s’y retrouver en tout cas, car le site qui avait ete créé pour accueillir le livre s’intitulait « colorblind is beautiful », une vile moquerie clairement adressée à celleux qui, dans un geste identitaire et sans doute contre-révolutionnaire, osent contester les canons de beauté qui tiennent leur origine dans le suprémacisme blanc (on pense au mouvement « Black is beautiful »).
Une vingtaine de pages plus tard, les amis de Juliette reviennent à la charge et introduisent de nouveaux éléments nécessaires à la compréhension de leur projet politique.

Aujourd’hui, les amis du PIR ne sont pas forcément plus nombreux, mais ils capitalisent sur les luttes contre ladite « islamophobie » à travers laquelle il s’agit de défendre une identité religieuse musulmane plus que de lutter contre un quelconque racisme, ou dans les mobilisations contre les violences policières, stratégiquement investies dans les comités «Vérité et Justice pour…», dans lesquels il n’y a jamais rien eu à sauver, puisque nous ne sommes pas intéressés par les préoccupations politiques de ceux qui confortent les catégories du pouvoir en attendant de lui la vérité et la justice, ou autres fariboles illusoires et politiquement désastreuses, ni par la victimisation permanente du champ des luttes transformées en complaintes des flagellants commisérateurs, quémandeurs de subventions, de places, de vérité, de justice et de lois, qui seraient enfin justes et égalitaires. « Pas sans nous ! » chouine-t-on dans les rares et maigres cortèges racialistes… qui ne mobilisent véritablement que sur Twitter.

p.88

Ce qui nous frappe à la lecture, c’est la critique virulente des comités « Vérité et Justice », des collectifs de proches et de soutiens qui se forment depuis quelques années dès lors que des personnes sont tuées par la police en France et qui, malgré ce qu’en disent les discordistes, n’ont rien à voir avec le PIR, ni avec l’antisémitisme, à part peut-être que certains « indigénistes » peuvent se retrouver à militer dans certains d’entre eux ou leur donner de la visibilité dans un but politicien (bien que ce phénomène reste très limité et que des tensions ont au contraire éclaté). Pour qui s’intéresse un peu aux discordistes/fleurs, c’est un fait bien connu que ces comités sont l’une de leurs cibles constantes depuis des années. Pourquoi ?
La raison la plus évidente de cet acharnement est leur soi-disant réformisme : en effet, chercher à obtenir la vérité sur la mort d’un-e proche et éventuellement faire condamner les flics responsables de sa mort dans un tribunal n’est pas très révolutionnaire.
Précisons qu’on ne veut pas balayer du revers de la main les critiques qui pourraient être formulées à propos de la méthode des ‘comités’, surtout celles qui viennent de l’intérieur du mouvement antiraciste. Impulsés d’abord historiquement par des mouvements maoïstes en France, ils traduisent une croyance absolue en une ‘justice populaire’, qui est problématique à bien d’égards et dont les revendications (qui visaient d’abord l’abolition de la justice bourgeoise) se sont bien amoindries depuis des années. Comme on a déjà pu le voir et, comme on le verra encore plusieurs fois dans ce texte, ces critiques tout à fait légitimes n’ont rien à voir avec toute la bile que les anti-racialistes déversent ici sur les proches des victimes sans chercher une seule seconde à comprendre pourquoi des personnes ont recours à ces pratiques.
Passons sur l’amalgame volontaire entre ce qui n’est « pas » révolutionnaire et ce qui est « contre-révolutionnaire » : selon nos maîtres de la casuistique, le fait de faire autre chose que la révolution, par exemple chercher à survivre ou encore à obtenir la vérité sur la mort d’un-e proche, c’est finalement s’y opposer avec son corps et sa vie. Passons aussi sur leur fâcheuse tendance à tout mélanger : les comités vérité et justice avec les quêtes des subventions associatives ou encore les mobilisations sur twitter. Passons sur les balles marquées contre leur propre camp (on pense aux « maigres » cortèges : faudrait-il plutôt massifier ?). Passons enfin sur le fait de traiter de « racialistes » les familles de victimes qui demandent justice, une maladresse certainement (cela pourrait s’appliquer au PIR, mais comme les deux sont fustigés côte à côte, la confusion cette fois-ci aussi nous paraît volontaire), qui à elle seule mériterait bien des gifles pour faire redescendre nos braves révolutionnaires de bibliothèque de leurs piédestaux depuis lesquels iels s’autorisent de gueuler sur la plèbe.
Il y a aussi une deuxième raison un peu plus implicite, mais qui apparaît au grand jour dès qu’on s’intéresse au type de lexique que ce passage mobilise : « la victimisation permanente », « complaintes des flagellants commisérateurs », « quémandeurs », « chouine ». Celleux qui ont fait un peu de philo reconnaîtront dans ce refus de la justice et de la logique victimaire une réappropriation assez caricaturale de la dénonciation de la morale des faibles chez Nietzsche (On ne sera donc en aucun cas surpris-e que le livre se termine par une citation de la Généalogie de la morale).
Cela éclaire le choix de l’épouvantail sous un autre angle. Au-delà des questions du racialisme, de la blanchité et de tout le reste, c’est possible que ce qui attire nos braves révolutionnaires dans le PIR au point d’en faire leur cible préférée, à laquelle iels consacrent des travaux monumentaux (des centaines de pages pondues rien qu’en un an au sujet d’une organisation politique relativement insignifiante, c’est vraiment beaucoup), c’est le culte de la puissance viriliste que ces deux organisations partagent, se faisant la concurrence sur ce terrain.
Toutefois, celleux qui s’imaginent sans doute en David révolutionnaire qui renverse le Goliath racialiste ne voient pas ce qui apparaît plus clairement depuis une position extérieure à ce combat pathétique : un parasite plus petit qui cherche constamment a s’accrocher à un parasite un peu plus grand dans le but de récuperer un peu de l’attention dont ce dernier bénéficie.
Surfer sur l’opposition au PIR et à celleux qui lui ressemblent est un bon moyen de rester un peu pertinent pour une certaine audience sans devoir changer ne serait-ce qu’un petit peu son discours. Huit ans après la sortie de La Race comme si vous y étiez, l’insulte préférée des Fleurs reste « bouteldjiste », ce qui est clairement un chantage à l’antisémitisme adressé à tous-tes les antiracistes, y compris celleux qui militent activement contre l’oppression des Juif-ves. Inutile de dire que ça produit forcément pas mal de situations frôlant le ridicule.
C’est possible de se demander pourquoi avoir dédié trois parties entières à critiquer des textes qui datent, pour le plus récent d’entre eux, de 2016, en 2023.
Plusieurs raisons à cela. Déjà, on peut reprocher aux antiracialistes beaucoup de choses, mais pas leur manque de constance sur la durée. Il a pu y avoir des changements de paradigme sur les questions de l’insurrectionnalisme, de l’individualisme et de la classe, mais rien de tel sur les questions liées de près ou de loin au ‘racialisme’. Voir par exemple l’annonce d’une discussion sur l’histoire du mouvement antiraciste aux Fleurs arctiques en janvier 2022, qui félicite les luttes immigrées des années 70-80 de ne pas faire du racisme « leur sujet central » et qui laisse entendre que l’objectif du combat antiraciste serait « un simple changement de mentalité, en lieu et place d’un changement radical des rapports sociaux ».
Certain-es auteur-es de La Race comme si vous y étiez (et sans doute d’autres textes qu’on a analysés ici) fréquentent encore activement la bibliothèque. Et même s’il y avait eu une rupture, vu la quantité de confusion répandue sur le milieu antiautoritaire depuis des années, la moindre des choses aurait été de prendre distance publiquement avec les positions du passé, en commençant par reconnaître là où on a mer et de désavouer ces textes, ce qui n’est bien évidemment jamais arrivé. Le récent décès du négationniste ultragauchiste (inutile de dire que ce qualificatif renvoie au courant politique éponyme et non pas au fantasme policier auquel il renvoie aujourd’hui) Pierre Guillaume doit nous rappeler que cette négation forcenée de la spécificité du racisme a eu des effets funestes et continuera d’en avoir tant que nous n’aurons pas clarifié nos lignes politiques. [PS. On précise qu’on n’accuse pas les Fleurs arctiques de soutien aux négationnistes, on relève simplement la racine idéologique commune à celleux qui nient l’oppression spécifique des Juif-ves d’un point de vue communiste et celleux qui nient le racisme systémique visant d’autres groupes sociaux en se servant des arguments similaires de type « class first » (la classe en premier lieu).]
C‘est toujours bien de mettre les gens face à la quantité industrielle de merde qu’iels aient pu produire, mais cela a malheureusement peu d’effets sur des groupes s’étant construits sur la malhônneteté intellectuelle. Anecdote édifiante : à une discussion semi-publique sur le racisme dans un squat de l’est parisien en hiver 2022, certaines personnes des Fleurs ont pu prendre certaines distances avec des pratiques qu’elles avait eues jusque-là. L’une des co-autrices de La Race comme si vous y étiez disait notamment qu’elle se permettait aujourd’hui d’adresser la parole à celleux qui utilisaient le mot ‘race’ ou ‘racisé-es’ (quel honneur !) plutôt que de les considérer d’emblée comme des ennemis politiques. Pourtant, un an et demi plus tard, sur twitter cette fois-ci, on voyait les membres de la bibliothèque, y compris les plus jeunes, défendre deux des textes critiqués ici (La Race comme si vous y étiez et Nos révolutionnaires sont des gens pieux) sans aucune prise de distance critique ni reconnaissance de leur racisme. On peut donc légitimement se questionner si le fait de commencer à parler avec des antiracistes ‘racialistes’ n’est pas une technique politicienne bas de gamme qui consiste à ne pas s’aliéner directement des personnes dont on sait pourtant qu’iels sont sur des lignes opposées aux siennes, dans l’espoir de les convertir plus tard ou, peut-être plus réalistement, de se faire expulser de moins de lieux dans un contexte politique qui leur devient ces dernières années de plus en plus hostile, même au sein des milieux anti-autoritaires.
Enfin, le choix des textes était aussi motivé par le fait qu’il s’agissait d’une periode d’élaboration theorique particulièrement foisonnante où ce groupe publiait un traite antiracialiste tous les deux mois. Depuis, il délaisse quelque peu les questions « de la race » et « de la religion », tout en continuant à se revendiquer de cet héritage théorique, au profit des questions du genre qui les intéressent de plus en plus. Ainsi, s’attaquer aux textes de cette période permet de viser directement le socle théorique avant de toucher à ce qui s’est construit par-dessus. C’est ce sur quoi on va se concentrer maintenant.

Les Fleurs arctiques et le féminisme anti-féministe

Depuis 2017, les Fleurs essayent de se donner une nouvelle image, non moins radicale mais potentiellement moins polémique. (On passe de la discorde aux fleurs, c’est joli non ?) On va pourtant voir que les Fleurs s’appuient sur l’héritage de la Discordia pour rediriger une partie de leurs foudres vers d’autres cibles sans pour autant changer de disquette.
[PS. Suite à la polémique déclenchée par ce texte, des comptes twitter liés à la bibliothèque prennent le temps d’expliquer que les fleurs arctiques réussissent à survivre au grand froid en se regroupant. L’imaginaire qui les anime se base sur l’impression d’être constamment assiégé et entouré-es d’ennemis, en position ultra-minoritaire qu’iels défendent uniquement en agissant en bloc et en refusant toute remise en question de n’importe quel-le membre actif-ve.]
On a pu noter les attaques contre les outils et le vocabulaire du mouvement antiraciste par celleux qui, de maniere sournoise, continuaient à s’en réclamer. Le groupe fera la même chose avec le féminisme et les mouvements queer, comme quoi il n’y a pas vraiment de limite à ce sur quoi des autoritaires pourraient mettre leurs mains dans leur besoin de récupérer les luttes sociales.
En 2019, dans un edito des Ruines, Aviv Etrebilal (l’une des signatures les plus fréquentes qui apparaissent sur des textes liés aux éditions Ravage et aux Ruines) s’essaye à une critique de la non-mixité (pratique politique qui consiste à poser un cadre de réunion ou d’organisation, ponctuellement ou de manière récurrente, sans les personnes qui participent aux oppressions contre lesquelles on lutte).
Ainsi,
lorsque des femmes excluent « les hommes », lorsque des « non-blancs » excluent « les ’’blancs’’ », lorsque des homos excluent « les hétéros », ils entérinent les catégories identitaires et politiques, gravent dans la roche les identités auxquelles ils enjoignent les individus à se soumettre, et dont nous voulons, en contradiction, nous libérer, en tout cas, auxquelles nous refusons d’être assignés. Il s’agit d’un travail non-rémunéré (quoique, cela dépend, des postes et des chaires existent) pour le maintien de l’ordre. Plus paradoxalement, ils reproduisent les deux formes d’oppression qui les ont amenés à vouloir s’organiser de la sorte : l’assignation et l’essentialisme. Se servir des outils de notre domination pour en finir avec la domination n’a jamais fonctionné et ne fonctionnera jamais, par définition, et par bon sens, mais encore faut-il être capable d’identifier l’assignation et l’essentialisme là où ils se trouvent. »
A la suite de ce paragraphe les auteur-es passent du coq à l’âne, ou plus précisément de la non-mixité à Bouteldja, car apparemment tous les chemins menent au PIR. Doit-on repondre sérieusement ? L’hésitation est forte, car on se retient d’éclater de rire. De quoi précisément les homos excluent les hétéros ? Des cadres de lutte qui remettent en question la domination des hétéros sur les minorités sexuelles et les minorités de genre ? Se reconnaître dans une oppression qu’on subit, retrouver d’autres personnes la subissant aussi et s’organiser pour lutter contre dans les contextes qui nous sont accessibles en forgeant une solidarité collective, ce serait, encore une fois, faire de l’identitarisme.
Ce passage est incompréhensible, si on ne prend pas en compte le refus par les Fleurs de toute logique des ‘concerné-es’ quelle qu’elle soit. Pour ce groupe, on est tous-tes également concerné-es par toutes les oppressions, dans la mesure où un fils de bourge peut lutter contre le capitalisme, les hommes cis contre le patriarcat, les blanc-hes contre le racisme, etc. Cette vision efface completement les differentes manieres dont on peut etre concerne-e par une oppression, comme si on devait prendre en compte de la même manière celleux qui contribuent à la perpétuer et celleux qui n’ont pas d’autre choix que de la subir.
Si on veut s’adonner à une argumentation sérieuse et de bonne foi à ce sujet, on tombe pourtant directement dans le piège qui nous est tendu. Tout outil ou concept est questionnable. Il n’y a pas d’esquisse parfaite qu’on pourrait simplement appliquer à la lutte pour être sûr-es de s’en sortir avec succès. Différents outils sont plutôt testés, discutés, améliorés, rejetés, parfois échangés contre d’autres. Il y a des critiques sérieuses et légitimes de la non-mixité au sein même des milieux féministes et queer. Or, ces questions, on continue à se les poser dans le but d’avancer, non pas de trouver une seule réponse applicable à tous-tes tel un couteau suisse, ni de revenir en arrière. A l’opposé exact d’une critique sérieuse et sincère, le passage auquel on répond nous embrouille la tête, mêlant des ébauches d’interrogations légitimes avec des comparaisons complètement foireuses (non-mixité comme maintien de l’ordre gratuit, sérieusement ?) et des fausses equivalences (les pédés qui excluent des hétéros de leurs espaces de lutte, c’est vraiment pareil que l’inverse ?). L’objectif ultime est de discréditer dans leur entièreté nos manières de lutter avec une intransigeance et une condescendance digne des éditorialistes réactionnaires.
Si on refuse ce jeu-là et qu’on regarde de plus près, ce paragraphe nous révèle quand-même des choses intéressantes au sujet d’à qui s’adresse le texte. Car s’il y a une chose que les Fleurs détestent faire, c’est se situer ou reconnaître des positions de pouvoir là où il y en a. Lisons attentivement cette partie de la phrase : « les catégories identitaires et politiques, gravent dans la roche les identités auxquelles ils enjoignent les individus à se soumettre, et dont nous voulons, en contradiction, nous libérer, en tout cas, auxquelles nous refusons d’être assignés« . Le ‘nous’ apparaît deux fois et ce ‘nous’ refuse de se soumettre, on l’a bien compris, aux catégories auxquelles on l’assigne. Mais qui assigne qui dans les pratiques de la non-mixité ?
Tout en reconnaissant différentes pratiques de la non-mixité qui peuvent rentrer en contradiction les unes avec les autres, on peut tout de même voir que souvent les personnes se définissent a priori uniquement comme opprimé-es (par exemple, ‘personnes sexisées’ ou ‘racisées’) sans se mettre la pression de rentrer dans une case précise. On peut se retrouver dans une non-mixité sans hommes cis hétéro et se revendiquer pédé, gouine, trans, cis, ou rien du tout. Dans d’autres cas, comme quand on parle des FLINTA (femmes, lesbiennes, intersexes, non-binaires, trans, agenres) ou des MINT (meufs, intersexes, non-binaires, trans), on s’identifie positivement, mais la liberté est très grande pour que justement on se sente inclu-e plutôt qu’assigné-e à une place rigide.
C’est les personnes extérieures à toutes ces non-mixités, c’est-à-dire les hommes cis hétéro qui sont ici véritablement assigné-es à une identité qu’il est complètement dans leur intérêt d’ignorer par ailleurs, car cela leur permet de masquer les positions sociales inégales dont ils bénéficient.
Ce n’est ni injuste, ni essentialisant. Deux voies s’offrent à toute personne assignée homme hétéro sur qui les assignations de genre et de sexualité pèsent réellement : transitionner, embrassant la transféminité et/ou la non-binarité, ou encore d’intégrer à sa vie des pratiques homosexuelles, assumant le changement de regard social sur soi qui en découle forcément. A moins de faire ça, on se fout tout simplement de la gueule du monde et on devient une hétéro-pétasse (des personnes hétéro qui jouent avec les codes homos sans pour autant abandonner leur position privilégiée au sein de l’hétéropatriarcat), comme l’aurait certainement dit Mario Mieli.
La société qui assigne une personne trans à un genre qui ne lui correspond pas et qui l’essentialise lorsqu’elle cherche à s’en échapper n’a absolument rien à voir avec la prétendue violence de la visibilisation de la place dominante des hommes cishet par des féministes. Soutenir le contraire revient à servir une manoeuvre tres réactionnaire, objectivement au service des dominant-es, peu importe le genre ou la sexualité de la personne ayant écrit ces lignes. Encore une fois, ne pas voir une domination, c’est refuser de la combattre.
Ce genre de mauvaise foi s’immisce dans toutes les prises de position des Fleurs au sujet des questions liées au genre ou à la race. La technique est à peu près la même depuis des années : refuser d’abord de se situer, se justifier en disant que ce n’est pas si important, car on peut lutter depuis une position de privilégié-e ; faire le chantage à l’attentisme, recréer une fausse dichotomie ou des faux problèmes pour en occulter de vrais (Mais si on est pas autant concerné-es que les autres, alors autant rien faire ! ou encore Faut-il demander leur avis aux prisonnier-es avant de lutter contre les prisons ? ) ; enfin, quand iels sont mis-es face au fait que leurs positions bénéficient objectivement les dominant-es, se targuer des dominations que subissent certain-es de leur membres, qui se définissent parfois individuellement comme racisé-es ou queer ou bien parlent au nom de leurs potes qui le seraient.[12] Critiquer la logique des concerné-es pour ensuite utiliser le fait d’en être un-e afin de fermer la gueule aux critiques est une technique assez particuliere, mais les Fleurs ne sont pas à une contradiction interne près pour sauver leur réputation.
Il ne suffit pas de se dire féministe ou queer pour le devenir. Pour une bibliothèque anarchiste qui prétend travailler ces questions et qui n’a pas de mal à sortir plusieurs textes par mois sur des sujets qui leur paraissent dignes d’intérêt, on peut légitimement s’interroger sur leur apport théorique concret à ces mouvements. Pourtant en regardant leur site, on y trouve pas grand chose de publié sur ces sujets, à part deux brochures datant d’octobre 2017 et de décembre 2018, et dont les titres reviennent souvent, ce qui donne l’impression qu’il s’agisse là des références importantes. La première est « Les Mujeres libres et la question de la ‘non-mixité« .
« Les Mujeres libres… » accompagne une discussion publique sur la non-mixité qui s’est tenue dans la bibliothèque en septembre 2017. La brochure réagit notamment à un texte publié sur paris-luttes.info qui luimême répond au texte d’annonce de la discussion par les Fleurs. Leur démarche nous étant deja familière, on ne sera pas étonné-e de voir que l’appel à discuter est, en fait, un prêt-à-penser qui prétend résoudre les problèmes que les Fleurs ont elleux-mêmes créés. La prémisse de la discussion, c’est qu’à travers la non-mixité, on s’organise « entre soi sur la base d’une catégorisation à laquelle on est censé s’opposer » et qu’il s’agit là d’un paradoxe, d’une institution « de la séparation des genres ». Ah bon ? Lutter contre le patriarcat, c’est donc forcément abolir les genres ici et maintenant ? Il serait donc inutile ou pas révolutionnaire de lutter contre les violences sexistes et sexuelles, se donner des outils pour survivre dans des milieux dominés par les hommes cis, se questionner entre opprimé-es sur les formes d’organisation mixtes dans lesquel-les on se retrouve pour mieux les interroger, etc ? 
Sans perdre notre temps à analyser la totalité des arguments absolument lunaires que l’article publié sur PLI décortique de manière exhaustive, notons simplement que, comme d’habitude, les Fleurs fabriquent de toute pièce, sans en citer un seul exemple, une pratique de non-mixité « identitaire » qui s’appuierait sur « une essence ‘féminine’ », ferait office d’une « lutte en soi et pour soi », ainsi qu’ « une proposition politique post-moderne contre des révolutionnaires« , et qui représenterait ainsi une « dégénérescence de la pratique de l’auto-organisation ». [Citation needed] Tout du long, l’idée que la non-mixité est une pratique éminémment libérale et en aucun cas révolutionnaire est présupposée mais non défendue. Aucun exemple n’est cité, on nous dit juste que ces pratiques surgissent un peu partout dans le milieu. On se demande pourquoi une non-mixité ne pourrait pas se mettre au service d’une révolution, pourquoi elle devrait la remplacer plutôt que de s’y inscrire et pourquoi elle ne pourrait pas non plus interroger les séparations de genre ?
C’est comme ça, disent les Fleurs. Comme pour mieux le prouver, le corps de la brochure s’intéresse à un exemple de féminisme révolutionnaire cette fois-ci, celui des Mujeres Libres en Catalogne de 1936 à 1939, qui s’organisaient en toute autonomie des hommes au moment de la révolution sociale dans cette région. Il y a quelque chose qui cloche, non ? Ah, oui en effet, ça peut éventuellement ressembler à une non-mixité de fait, mais il n’en est rien, parce que l’objectif de cette organisation qui, en 1937, comptait 20,000 femmes et aucun homme dans ses rangs était de créer un cadre pour se donner de la force et de la liberté pour ensuite mieux participer à la révolution en dépit des violences patriarcales de leurs compagnons, en d’autres mots « il s’agissait d’une forme d’association pragmatique ponctuelle dans une révolution ». Cela ressemble quand-même vachement à une organisation non-mixte dans le but de faire la révolution en créant un rapport de force avec des hommes pour rendre possible une lutte en mixité.
Dans un contexte politique très différent où les barrières à la participation des personnes opprimées par le patriarcat sont beaucoup moins fortes qu’en 1936, celles-ci continuent à exister et à nous pourrir la vie, ce pourquoi l’un des objectifs des pratiques non-mixtes est précisément de les combattre. Question adjacente : à quel moment qui que ce soit, et encore plus les Fleurs, décident que les féministes cessent d’être révolutionnaires à partir du moment où iels commencent à s’organiser en non-mixité (comme sous-entend la phrase « proposition politique post-moderne contre des révolutionnaires« ) ? Est-ce qu’en remplaçant le mot « non-mixité » par l’expression « auto-organisation des opprimé-es » (c’est plus long, plus chiant à prononcer et ça fait un peu vieillot, mais bon pourquoi pas au final ?) ces féministes-là pourraient de nouveau avoir le droit de se considérer revolutionnaires ? Oui ? D’accord, c’est noté, merci pour votre autorisation, vous êtes bien sympathiques.

Un exercice de compréhension écrite : les questions trans à la sauce Marianne

Bon, vous l’accorderez, l’apport des anti-racialistes à la théorie féministe est quelque peu maigre. Qu’en est-il des mouvements queer/trans ?
Les Fleurs sont de celleux qui aiment clamer haut et fort leur admiration des marges, de tout ce qui subvertit la norme. Iels adorent parler de leur soutien aux trans et leur non-soutien aux TERFs (acronyme qui correspond aux ‘trans-exclusionary radical feministes’, les féministes radicales qui refusent de considérer les personnes trans en accord avec le genre qu’iels vivent, ce qui justifie notamment d’exclure les personnes transfem des espaces réservées aux femmes), jusqu’à produire des declarations officielles sur Twitter. Apparemment iels vont même jusqu’à virer des gens qui auraient tenu des propos transphobes ne serait-ce qu’une seule fois, ce qui est tout à leur honneur.
Vu la quantité de choses dans ce texte, on pourrait peut-être se dire que c’est bon, qu’il y a bien une question sur laquelle iels ne sont pas complètement à la ramasse et les laisser enfin tranquilles ? Sans doute, mais avouez que c’est quand-même intriguant. Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour que le compte officiel d’une bibliothèque et certain-es de ses membres les plus préeminent-es se mettent d’un coup à plusieurs à communiquer leur amour des marges et leur totale absence de transphobie ?
En général, quand on tweet un truc du genre « les positions transphobe et Terfs, ainsi que le racisme, ne sont pas tolérés dans notre lieu. Vive les trans, vive les émeutes, vive tout ce qui subvertit ce monde », c’est qu’il pourrait y avoir anguille sous roche. Surtout quand le tweet commence par « pour répondre à des rumeurs » et qu’il se termine par « mort aux procureurs. »
Bon, si vous voulez vraiment savoir, ça a commencé, entre autres, par un texte. Un texte sorti en décembre 2018, traduit de l’anglais, qui s’appelle « Contre l’anarcho-libéralisme et la malédiction des Identity politics« . « Identity politics », vous vous demanderez certainement, c’est bien les « politiques de l’identité« , un fourre-tout conceptuel promu par des réacs de tout genre, qui mettent dans le même panier les safe spaces, les pronoms, les trigger warnings et tout le reste, comme le signe de l’avènement de nouvelles générations de wokes fragiles et nombrilistes ?
Certainement, mais ne jugeons pas aussi vite. Camarades procureur-euses, ne soyons pas les pires caricatures wokistes de nous-mêmes, cessons l’admiration de nos nombrils et prenons le temps de nous interroger sur le potentiel apport révolutionnaire d’un pamphlet anti-identitaire. Apres tout, il doit bien y avoir des réflexions intéressantes s’iels l’ont publié, d’autant plus que les Fleurs l’encensent tout en rejetant formellement toute forme de transphobie. Ce serait tout bonnement incohérent sinon, trop gros pour passer. On me souffle qu’il s’agirait carrément d’une sorte de « brochure qui vient de l’intérieur des milieux anar/queer » du Royaume-Uni, un texte « complètement queer« . Bref, vous connaissez le genre.
Eh bien, le début nous apprend qu’il s’agit d’une traduction d’une intervention anarchiste britannique sige ‘Woke Anarchists’ (les anarchistes woke) qui se définissent comme des « anarchistes auto-déterminés résistant à la cooptation de notre mouvement par le libéralisme, l’université et le capitalisme » avec une préface de nos ami-es les Fleurs. On se demande pourquoi le libéralisme et l’université viennent avant le capitalisme, on ne doit pas avoir les mêmes priorités sans doute mais, étranger-es au contexte du Royaume-Uni, il y a bien des subtilités qui nous échappent. Puis, il y a une sorte de mot d’avertissement de la part de nos traducteur-ices qui disent ne pas être d’accord avec tout. Devrait-on s’inquiéter ? Dans les problemes soulevés, iels notent juste que « l’égalitarisme politique et la fondation de sociétés futures ne sont pas des préoccupations pour nous ». Bon, nous, ça ne nous paraît pas particulièrement problématique de défendre l’égalité entre les gens, ça ne doit pas être si grave alors.
Ensuite, les Fleurs s’adonnent à ce qu’iels font le mieux : iels critiquent la logique des « premier-es concerné-es », t’sais quand chacun-e a sa petite oppression dans son petit coin avec un-e porte-parole, et si par malheur t’es pas premier-e concerné-e, tu ne peux que te taire ou éventuellement devenir un-e allié-e docile, et les allié-es on déteste. Rien d’inhabituel donc.

Lutter avec ou pour les autres ou contre le sort qui leur est réservé peut alors être considéré comme « raciste », « colonial », « méprisant » ou « sexiste », selon certains porte-paroles auto-proclamés (souvent issus de la bourgeoisie et de ses universités comme l’affirme clairement ce texte) de ces minorités, qui pourtant ne se constituent jamais en tant que telles elles-mêmes.

Arrive la premiere phrase qui nous interroge un peu. Même si on ne voit aucun souci avec le fait de « lutter avec » des opprimé-es, c’est tout le principe de la solidarité après tout, quand on lit « lutter (…) pour les autres ou contre le sort qui leur est réservé« , on lève un peu les sourcils. On se dit que les mauvaises langues pourraient y voir du paternalisme. On relit la phrase qu’on a peut-être mal comprise, on se dit que c’est potentiellement une maladresse grammaticale. Le « ou » qui separe « avec » et « pour » implique bien que lutter pour, ici, implique ne pas lutter avec. Et comment lutter pour quelqu’un sans lui imposer notre manière de lutter, sans prendre une position secouriste condescendante ? Mais bon, on pinaille.
Surtout que les traducteur-ices nous expliquent juste après ce qu’est le mépris et le paternalisme, ouf, on est vraiment rassuré-es, iels y ont réfléchi.

On assiste à la justification du retour de formes paternalistes de rapports entre les différents acteurs de ce qui ne peut même plus se considérer comme « la même lutte », parce que chacun lutte sur son terrain pour son identité. L’« allié » reste à distance, respecte, et de fait méprise ceux avec lesquels il théorise qu’aucune élaboration commune n’est possible.

C’est vrai ça, salaud-e de premier-e concerné-e, pourquoi cette tendance à vouloir à tout prix privatiser ta lutte, nous dire de rester à nos places d’allié-es ? Pourquoi tu partages pas, pourquoi tu veux rester separé-e plutôt que d’élaborer quelque chose de commun avec nous qui voulons juste lutter pour…euh…avec toi ?
Après ça, on retourne aux fameuses identity politics qui arrivent en France depuis quelques années et, comme on le sait si on a lu la première partie de ce texte, leur critique est déjà très difficile, faut vraiment faire gaffe, sinon on finit avec des vitrines brisées et une réputation de racistes au passage. On ne peut même plus débattre tranquillement entre mecs cis blancs, sinon on nous accuse d’être oppressif-ves.

…une partie des débats et discussions publiques ne peuvent se tenir sur les sujets qu’ils s’étaient fixés au départ et sont systématiquement détournés par des politiciens de l’identité en discussions sur la composition de sexe, de genre ou de « race » de ses participants, en débats sur les débats, et les accusations d’« oppression » qui en découlent systématiquement.

Une tactique de prise de pouvoir par des porte-paroles des minorités qui ne veulent pas lutter pour tous-tes les revolté-es, préférant gérer les espaces pour en expulser « toute perspective révolutionnaire un tant soit peu anarchiste, et donc a minima universaliste – c’est à dire ne concernant pas une minorité sexuelle, de « race », de genre, une intersection de ces dernières, ou même une identité politique (comme l’anarchisme ou le communisme), mais tous les révoltés, d’une façon ou d’une autre« . (On se demande en passant si « porte-parole » n’est pas juste un mot commode pour désigner les opprimé-es qui se permettent de l’ouvrir.)
On aurait pu penser que les questions des marges n’étaient pas secondaires, mais en fait ça dépend du prisme sous lequel on les prend. Si tu veux lutter pour ta petite marge à toi, c’est pas très révolutionnaire. Les révolutionnaires ça lutte pour tous-tes les revolté-es, donc toutes les marges en même temps. Enfin, sûrement (on avoue, on commence à y perdre pied et on a du mal à voir où exactement iels veulent en venir). Heureusement, ça s’éclaircit dans la phrase d’après.

Les Identity politics sont arrivées en France avec tout un jargon pseudo-complexe mais nécessaire à son implantation (« cis », « racisé-e-s », « backlash », « call-outing », « non-mixité », « trigger warning », « safe-space », « workshop », « groupes de parole », ou encore l’utilisation abusive des qualificatifs « structurel » et « systémique »), sur le modèle de la novlangue contre l’ancilangue jugée sexiste, raciste et toujours intentionnalisée (plutôt que forgée par des milliers d’années d’usages vivants, complexes et contradictoires, et non unilatéralement, par décrets d’Etat ou idéologie).

Bim, les wokistes. Arrêtez de vouloir changer la langue, elle s’est forgée à travers des milliers d’années d’usage vivant, ça sert à rien de continuer le processus, ça vous dépasse completement, vous allez pas vous l’approprier non plus, c’est quoi ces conneries, aucun respect pour les traditions. Nique la République, soutien critique à l’Académie francaise cependant, faut pas abuser. Tous ces trucs genre ‘cis’, ‘racisé-es’, c’est l’impérialisme linguistique britannique ou ‘ricain, ça rappelle trop la novlangue dans 1984, Brave New World, tout ça, on y pige rien. Pis on va pas rassembler tous-tes les revolté-es en les traitant de méchant-es cis ! Soyez content-es d’avoir un mot pour vous définir vous, les trans, ça devrait suffire non ?
Par contre, on comprend pas vraiment ce que les groupes de parole viennent foutre là, après tout les Alcooliques anonymes, ça remonte aux années 1930. Mais sur wikipédia on lit que c’est né en Angleterre, ça doit être pour ça. L’impérialisme britannique, vous a-t-on dit.
Juste après, iels laissent planer l’ombre du désespoir : on ne peut même pas parler des identity politics sans recourir à leur vocabulaire ! Au moins, les auteur-es auront bien saisi l’ampleur du desastre, ça se sent.

C’est aussi ce qui fait la force de ce texte : on y lit l’effet d’une prise de conscience de la gravité des conséquences d’un processus que ceux qui l’ont écrit, parmi d’autres, ont vécu et subi.

Prenons par exemple le mot « TERF », utilisé ici dans cette brochure. Ce terme péjoratif (« Trans-Exclusionary Radical Feminist ») désigne généralement des féministes radicales considérées comme incrédules, sceptiques ou excluantes vis-à-vis des personnes, le plus souvent nées « hommes » et ne s’identifiant pas à cette assignation.

Attends attends. Pause. Remonte un peu. C’est quoi ça d’un coup ? La transition entre les deux paragraphes est vraiment galère à capter. On ne sait pas si la gravité du processus c’est que le mouvement féministe au RU soit infesté de TERFs, JK Rowling en tête (que même Poutine admire) ou si le drame c’est plutôt qu’on les traite de TERFs (« terme péjoratif »). En même temps, dès que ça mentionne les trans, iels sont là, sur toutes les chaînes, dans tous les journaux, du Telegraph au The Guardian en passant par la BBC. Cela aurait mérité une petite précision. Okay on maîtrise pas le contexte britannique non plus, mais difficile de pas se rendre compte de l’ampleur de l’offensive médiatique. Pourquoi ne pas le mentionner pour des lecteur-euses français-es ?
Ensuite, « trans exclusionary » ça se traduit simplement par « excluantes vis-a-vis des trans », on capte qu’iels ont voulu faire de leur mieux pour la trad, mais ça sert à quoi les synonymes atténuants ? « Incrédules, sceptiques », ça traduit un geste passif. Au contraire, l’exclusion est un geste actif, des wokistes diraient même « violent« .
Et puis, iels excluent qui ? Cela aurait été si compliqué de laisser juste « personnes trans » ? Fallait vraiment préciser « des personnes, le plus souvent nées « hommes » et ne s’identifiant pas à cette assignation » ? Pourquoi ne pas avoir parle des « personnes transféminines » ? Quand on sait ce que nos ami-es fleuristes pensent de « l’identité » et de toutes ces émanations, on est légitime de se demander pourquoi ne pas avoir affirmé plus clairement leur soutien ici. Ok, les trans c’est pas très clair pour les cis, on sait qu’il faut tout leur expliquer et préciser qui est assigné-e quoi, qui se fait exclure d’où, mais ça aurait été le moment parfait d’y insérer un message de type « les positions transphobes et Terfs, ainsi que le racisme, ne sont pas tolérés (…) Vive les trans, vive les émeutes, vive tout ce qui subvertit ce monde », en l’adaptant au débat bien sûr, pour qu’on puisse pas se dire que c’est juste un copié-collé ou un slogan générique.
Mais bon, nous direz-vous, pourquoi chouiner quand on vous dédie un paragraphe en entier, vous « personnes nées « hommes » ne s’identifiant pas a cette assignation » ? C’est pas trop demander ? Cela ne vous suffit pas qu’on parle de vous, vous voulez aussi qu’on vous traite bien, qu’on vous masse le dos peut-être ?
Convaincu-es de ce contre-argument, mais serrant un peu les dents tout de même, on décide de poursuivre. (On rappelle qu’on est pas encore arrivé-es au texte en question, on n’est qu’à la fin de l’intro des traducteur-ices, donc la partie directement écrite par les Fleurs, sur laquelle iels ont dû se pencher à plusieurs.)
Les TERFs donc…

Un terme qui s’est popularisé dans l’éclatement de nombreux conflits (parfois violents) autour de la question de la « non-mixité » féministe en Angleterre, mais surtout de qui doit en être exclu ou non, et pourquoi. Par exemple, est-ce qu’un individu avec tous les attributs de la « masculinité » (barbe, virilisme, etc.), mais se déclarant « femme » ou « non-binaire » doit-il être admis en réunion non-mixte de femmes féministes radicales ? La question s’étant posée, bien entendu, dans des situations concrètes, souvent ponctuées d’outrages ou de violences physiques et morales, d’un côté ou de l’autre, selon les cas.

Le « parfois violent » commençait à semer le doute, les traducteur-es accuseraient-iels les trans de la violence envers les TERFs ?
Rappelons que c’est les TERFs qui ont commencé par avoir un problème avec nous, qui ont voulu regarder ce qu’il y a sous nos vêtements, nous humilier, nous assimiler à des violeur-euses en puissance, décider dans quels endroits on pouvait ou devait aller, à quelles opérations médicales on devait pouvoir avoir accès et à partir de quel âge on pouvait prendre des hormones, juger de notre degré d’authenticité, écrire et parler sur nous sans nous donner une seule fois la parole. Comparé à tout ça, le mégenrage est le moindre de nos problèmes. Si le même traitement était appliqué à vous, cher-es fleuristes, nous sommes sûr-es que vous pourriez vous aussi avoir des accès de violence. Sauf qu’on n’a pas le droit de nous défendre nous, pas qu’on veuille pas, mais on sait ce que ça implique : « Vous voyez ces individus violents et virilistes qui veulent s’attaquer aux vraies femmes ? Ces transactivistes veulent nous buter !! C’est des malades mentaux, enfermez-les en psychiatrie. » La même voix qui te parle depuis tous les plateaux télé.
On respire un petit coup, on se calme. C’est juste des mots et les mots, ça blesse pas, nous on est là pour avoir une discussion rationnelle en échangeant des idées et des arguments, pas du vécu de concerné-e, encore moins un ressenti, quelle horreur subjectiviste ! Les auteur-es de ces lignes ne disent pas que c’est nous les responsables, iels sont extrêmement clair-es sur le fait que la question de notre présence dans des espaces en « non-mixité« , par exemple des refuges pour personnes victimes des violences domestiques (ce qui, on l’avoue, est un luxe, pour les trans c’est comme aller à la piscine), s’était « posée, bien entendu, dans des situations concrètes, souvent ponctuées d’outrages ou de violences physiques et morales, d’un côté ou de l’autre, selon les cas ». Ah oui, « selon les cas », ça va alors. Les deux camps, on sait même plus qui a commencé, puis pourquoi chercher ? On est pas dans une cour d’école. Vous êtes pas tres doué-es pour saisir des rapports asymmétriques, quand il y en a, dites donc.
Vous aurez certainement remarqué qu’on a laissé le plus croustillant pour la fin. « Par exemple, est-ce qu’un individu avec tous les attributs de la « masculinité » (barbe, virilisme, etc.), mais se déclarant « femme » ou « non-binaire » doit-il être admis en réunion non-mixte de femmes féministes radicales ?« 
La réponse est dans la question évidemment. Formulé comme ça, UN individu avec TOUS les attributs de la MASCULINITE, qu’est-ce qu’IL pourrait bien foutre dans un espace fait pour les femmes, de surcroît des féministes radicales ? C‘est absurde rien que de l’envisager. Question rhétorique, encore une. On relit : « tous les attributs de la « masculinité » (barbe, virilisme, etc.)« . Lol. Dira-t-on a nos traducteur-euses que les femmes cis ont aussi parfois des barbes, que pour des personnes non-binaires queer c’est assez courant ? Que les « hommes » n’ont pas le monopole du virilisme ? Non, ça serait un niveau de sophisitication du discourse un peu trop élevé. On pourrait se croire sur Twitter. D’ailleurs, on préfère faire des tweets déclarant qu’on est des allié-es des trans, qu’on aime les trans, plutôt que de relire ses propres textes. A quoi bon ?
Puis, c’est écrit noir sur blanc après :

C’est le genre de débats qui a le plus animé nos milieux ces dernières années, malgré les insurrections sociales qui ont secoué le monde et qui se trouvaient à des années lumières de ces questions particularistes, qui vues de là, paraissent bien peu de chose face au rêve d’un monde sans État, sans argent et sans plus jamais personne au-dessus ou à l’intérieur de nos têtes.

Ah oui, pardon, notre survie et notre auto-défense face à l’extrême-droite (dont les TERFs font très activement partie, rappelons-le) est particulariste. On avait oublié. Pendant que les insurrections agitent le monde en plus. On est vraiment super égoïstes, dites donc. C’est vrai que tout le monde en parle tellement. Fin c’est plutôt les TERFs qui créent constamment des paniques morales à notre sujet, mais ça devrait nous suffire, on devrait être flatté-e, les attention whores que nous sommes. Et puis on a compris que vous vous en foutiez, que la dénégation de la logique des concerné-es est allée tellement loin que pas une seule personne trans n’a relu votre putain d’intro. Ou bien vous avez choisi la pire des cautions pour faire ce taff ingrat.
Le texte lui-même, on a pas grand chose à dire. C’est de la merde diluée, une bouillie bien réac, bien médiocre, bien Marianne-compatible. Et pas une goutte de queer. Puis ce passage (du texte traduit cette fois-ci) qui nous met sur le même plan que les fafs qui s’en prennent aux feministes :

Nous sommes également stupéfaits que les parallèles évidents avec les politiques droitières ne soient pas identifiés comme tels, alors qu’ils sont visibles par exemple dans la manière dont les féministes sont traitées de « féminazies » et sont virées, ou dans l’usage actuel du mot « fasciste » contre les féministes radicales par les activistes du droit des trans, tout comme dans les slogans appelant à tuer les TERFS qui apparaissent régulièrement dans les aires anarchistes, sur internet comme dans la réalité. Il est choquant que la violence de cette misogynie soit célébrée et non condamnée.

Et la transmisogynie des TERFs et l’essentialisation de la ‘femme’ par les transphobes, on en parle ? On se lasse de répéter les mêmes choses sur les rapports asymétriques, on va donc pas expliquer en quoi c’est…attention on sort l’artillerie lourde…transphobe. On peut pas non plus vous prémâcher tout le taff. Faites un putain d’effort, les ami-es.
Et soyez cohérent-es un minimum, pas la peine de tweeter votre soutien si c’est pour mieux faire passer des écrits comme celui-ci. Ou au moins, si vous êtes aussi prolixes sur les réseaux, vous auriez pu consulter l’activité du compte @WAnarchists, des auteur-es du texte. On veut pas devenir les flics de Twitter, mais c’est parfois intéressant de voir ce que les gens likent et RT. Sur les 9 likes de nos auteur-es « complètement queer », 2 vont à des personnes qui dénoncent une manif queer anarchiste contre une conférence TERF en décembre 2018 (le même mois ou vous avez publié leur texte en leur donnant une visibilité supplémentaire). L’une des deux personnes likée partage même l’article en version originale comme argument face aux trans pour leur dire que ce ne sont pas de vrai-es anars. Cette personne s’appelle Judith Green, elle est la co-fondatrice et directrice de l’organisation Woman’s Place UK, l’une des principales organisations de féministes transphobes au Royaume-Uni. Et elle se fait liker par les auteur-es bien content-es de la réussite de leur démarche. Curieux pour un texte d’intervention interne au mouvement queer, n‘est-ce pas ?

Quelques illustrations de la mise en pratique de la bouillie confusionniste

Cette brochure est déjà très longue, mais elle ne serait pas complète, si on limitait notre critique aux textes, en laissant passer des pratiques tout autant, voire encore plus merdiques. Car, contrairement à d’autres groupes, qui ecrivent beaucoup et ne font rien, le groupe dont on parle est aussi dans toutes les embrouilles IRL, comme on dit.
En effet, sur Twitter comme dans la vie hors ligne, les Fleurs menacent, intimident en nombre et harcèlent. L’effet que ça produit est celui des coups de pression pour faire taire les critiques. Malheureusement, ces méthodes fonctionnent relativement bien, surtout lorsqu’elles visent des personnes qui vivent déjà des oppressions multiples. D’où le temps qu’il nous a fallu pour qu’un texte sorte enfin, malgré de nombreuses tentatives avortées.
Il y a beaucoup d’histoires qu’on pourrait raconter, malheureusement, le moment de l’écriture de ce texte (en plein mois de juillet) n’était pas le plus propice à des rencontres en vrai entre collectifs et individus différents pouvant valider les récits et autoriser leur diffusion. Ainsi, on devra se limiter à quelques exemples à titre d’illustration et on espère que si cela ne suffit pas à nos « compagnon-nes » qu’un autre texte cette fois-ci directement axé sur le harcèlement et les menaces qu’ont pu vivre des copaines prenne la relève de celui-ci.
L’histoire la plus ancienne qui nous a été racontée directement remonte à 2018 – 2019. A cette période-là, un camarade qu’on va appeler A. se rapproche d’une personne qui côtoie les Fleurs et qu’on va appeler B. Sauf que A. est aussi en lien avec quelqu’un qui est en embrouille politique forte avec ce groupe. A., dépassé par la situation dont il n’a pas tous les éléments, essaye de se renseigner en posant des questions à B. Ce-dernier prévient alors ses camarades. Par la suite, plusieurs jours d’affilée, A. reçoit des appels d’un numéro inconnu qui, il apprend en demandant autour de lui, appartient à une membre influente du groupe. Inutile de dire qu’il ne la connaît pas personnellement et qu’il ne lui a évidemment jamais donné son contact. Plus tard encore, un jour où il n’est pas chez lui, il apprend que B. a amené deux personnes qu’il ne connaissait pas devant sa maison « pour discuter », plus précisément lui imposer une discussion sur l’autre personne qu’il côtoyait, à plusieurs. Les sollicitations répétées et non-consenties auront en tout duré entre au moins un mois.
Depuis, les Fleurs ne cessent de mettre des coups de pression en débarquant à plusieurs, même quand il s’agit de parler à une seule personne, d’accuser les personnes qui leur portent des critiquesv ou les questionnent sur leurs positions de mener des enquêtes policières, d’escalader des disputes politiques à coup de menaces. Dans chacune des situations qu’on a pu recenser, le groupe met à partie les gens en face en leur demandant, plus ou moins, de choisir leur camp, pour ou contre elleux, et nient tout coup de pression ou menace, même quand ceux-là sont évidents.
Au printemps 2023, en plein mouvement contre la réforme des retraites, des personnes proches de la Baudrière (squat anarcaféministe trans-pédé-gouine a Montreuil) reconnaissent des gens des Fleurs à une tentastive d’occupation de Paris 8 et en parlent à d‘autres gens autour, disant ne pas vouloir rester si les Fleurs sont là. Il y avait déjà eu des intimidations, menaces irl et par mail envers des personnes proches de la Baud et d’autres, des récits d’occup précédentes où les Fleurs avaient tenu des propos sexistes et misogynes, avec toujours les mêmes pratiques en monopolisant la parole et en ne disant pas qu’elles viennent des Fleurs.
Solidaires étudiant-es intervient pour les exclure puis se barre, les Fleurs restent et ce n’est qu’avec l’intervention virulente d’autres personnes qu’elles finissent par partir en criant « colons bourgeois, racistes gentrifieurs ». Les Fleurs identifient les personnes les ayant exclu-es comme étant de la Baud. Quelques jours plus tard, 3 personnes des Fleurs viennent à la Baud pendant un évènement public contre les TERFs pour s’expliquer, disant des personnes de la Baud qu’elles avaient des pratiques de flics et qu’elles copinent avec les syndicats. Personne n’a accepté de parler avec elles par flemme, ce à quoi elles ont répondu « c’est ça vos revendications politiques, la flemme??«  mdr. (Ce n‘est pas la première fois que les Fleurs se font exclure d’une AG, d’un blocage, d’une occup’.)
A une AG autonome un peu plus tard (assemblée qui rassemblait différentes personnes et collectifs se mobilisant pendant les mouvements que les Fleurs ont contribue à lancer), les personnes des Fleurs présentes en nombre sont très remontées et parlent longtemps de ce qui s’est passé à P8. Il n’y a qu’une seule personne de la Baudrière à ce moment-là. Un mec des Fleurs lance : « Si on continue à se faire exclure comme ca, la prochaine fois, ça va mal se passer. » A l’AG suivante, plusieurs personnes proches (ou pas) de la Baudrière viennent en soutien pour faire cesser l’intimidation. L’AG commence par les Fleurs qui mettent la pression à des gens de manière très culpabilisante, y compris celleux qui sont là pour la première fois, par rapport à un tractage raté où il n’y avait pas eu assez de monde. Iels monopolisent la parole et reviennent à la charge plusieurs fois. Des personnes interviennent alors pour raconter l’épisode de l’AG d’avant, les Fleurs refusent de prendre en compte les critiques et ne reconnaissent même pas qu’il s’agissait d’une menace. Le ton monte, les intimidations continuent, l’AG s’arrête, la dynamique est brisée.
Aujourd’hui, les Fleurs commencent à voir se constituer un rapport de force en face et cela les inquiète. Ainsi, à la foire du livre anarchiste des Balkans en juillet (à laquelle les auteur-es de ce texte n’étaient pas, mais dont iels ont eu des échos), les Fleurs proposent une discussion sur les derniers mouvements sociaux en France. D’autres personnes françaises, au courant de certaines histoires de harcèlement et de menaces, en plus des positions transphobes et racistes décrites dans ce texte, trouvent ça choquant et décident d’interpeller les organisateur-ices, puis les gens présentes à la discussion pour essayer de la faire annuler. Les Fleurs sont très en colère, qu’iels expriment principalement sur Twitter et finissent par publier le tweet deja cité, qui se termine par « Mort aux procureurs » (faut-il le voir comme une menace de mort envers des camarades, dont certain-es sont trans ? la question reste ouverte), ainsi qu’un long communiqué où iels ciblent en particulier une personne qu’iels décrivent comme étant chef du groupe, sans aucun fondement derrière. Quand iels font face à des critiques virulentes, plutôt que de se dire que quelque chose ne va pas dans leur démarche, c’est la logique du complot qui domine. On cherche des chef-fes, des personnes qui tireraient des ficelles dans l’ombre. On essaye d’individualiser toute opposition à leurs discours et pratiques, de prouver à tout prix qu’il s’agit de rumeurs infondés colportés par des militant-es carriéristes. Les auteur-es et les relecteur-ices de ce texte se solidarisent bien évidemment des personnes qui ont pris le risque d’agir pour empêcher la discussion pilotée par les Fleurs dont le support était une brochure publiée par leurs soins et qui présente le groupe sous le meilleur jour. (Et s’il devait y avoir des représailles de la part des Fleurs, nos copain-es ne seront pas seul-es.)
Enfin, impossible de passer outre les comportements d’un des membres de la Discordia, qui milite aujourd’hui aux Fleurs et qui se cache derrière le compte twitter @BiollanteRising et @NonServiamVoid2. Ce militant est connu pour des menaces répétées envers des personnes qui formulent des critiques trop frontales, peu importe si celles-ci étaient destinées à lui personnellement, aux textes auxquels il participait ou défendait, ou bien au groupe dans son ensemble. Un bon travail d’archivage a été mené en 2021 par le compte Twitter @pwnine_ qui a personnellement subi des menaces en DM et la réponse auquel a été une minimisation, une négation, enfin une justification de ces procédés par d’autres membres des Fleurs, qui couvrent Biollante depuis des années.  (Dans ce thread, on apprend entre autres que NonServiam avait demandé à un site de black metal de recenser un nouvel album. Après que celui-ci ait sorti une critique véhémente, le chroniqueur a été menacé trois fois par Non-Serviam.) Lui-même justifie souvent ses comportements par sa neuroatypie. Inutile de dire que ce genre de défense est non seulement malhonnête, mais aussi psychophobe. La base du conflit avec pwnine était une critique d’un texte publié par Non-Fides, qui s’appelle « Compagnons, camarades, vos nombrils ne sont pas revolutionnaires« , dont on incluera un extrait en annexe.
Un procédé, somme toute, intéressant : harceler et menacer les critiques, puis s’étonner que personne vient vous confronter en face et que les rumeurs se fabriquent dans le dos (ce qui n’est pas vrai, car des critiques accessibles de leurs positions ont toujours existé). Comment alors considérer ces gens autrement comme des ennemis politiques, des autoritaires qui ont réussi a infiltrer le milieu libertaire ?
Mention spéciale à la galaxie anti-racialiste qui permet à ces gens de se sentir moins seul-es dans le paysage politique : entre autres, le journal Bad Kids à Toulouse, le GARAP (Groupe d’Action Pour la Recomposition de l’Autonomie Prolétarienne), la radio Vosstanie, le site Non-Fides et A$AP Révolution a Rennes.
Un peu plus a l’écart se tient la Défense Collective de Rennes, qui peut être très éloignée des groupes qu’on vient de citer, mais dont plusieurs membres très actif-ves continuent à soutenir leurs positions islamophobes et anti-racialistes (par exemple sur les réseaux), car c’est aussi les leurs.
Nous ne pouvons bien évidemment dicter à qui que ce soit la conduite à tenir face aux Fleurs, nous pouvons seulement leur conseiller d’éviter des débats d’idées abstraits et interminables (qui deviennent des discussions purement théoriques à coup de rhétorique pétée) et d’essayer de les mettre à distance le plus possible, par exemple en les excluant des espaces de lutte qui leur sont encore accessibles, dès que le rapport de force est là (et que les auteur-es de ce texte espèrent appuyer).
Quant à celleux qui gravitent autour de la bibliotheque depuis pas très longtemps, nous espérons sincèrement qu’il y a parmi vous des personnes qui ne connaissent pas réellement l’histoire du groupe et de ses positions ou ne se rendent pas compte de l’effet que cela a pu produire ces dernières annees. Nous vous souhaitons donc de trouver des camarades plus bienveillant-es et moins réactionnaires, en prenant au plus vite possible vos distances avec ce groupe nauséabond.
PS. Merci à celleux qui sont resté-es jusqu’ici et n’hésitez surtout pas à envoyer vos menaces à papillon2nuit /@/ riseup.net. On transmettra (ou pas).
Et ce n’est pas fini !
Pages annexes
  1. Best-of des citations de la Discordia et des Fleurs arctiques
  2. Republication du texte Pour en finir avec le terme ‘racialisateur’ paru en 2016
Notes
[1] On ne revendique pas les notions d’ »identité » ou de « communauté » telles quelles et acceptons qu’en fonction du contexte et de l’objectif de leur usage, elles peuvent être plus ou moins problématiques, plus ou moins récupérables par les mouvements libéraux ou réactionnaires. C’est le geste de les rejeter d’emblée sans même s’intéresser à quoi elles pourraient renvoyer qui nous interroge. Sans oublier que la critique de l’identité est trop souvent une excuse pour dire que les luttes des minorités sont a priori libérales et que toute volonté de construire une communauté de lutte ou de vie avec d’autres opprimé-es est une futilité réactionnaire. Ces jugements sont fréquemment portés avec beaucoup de condescendance et d’aplomb par celleux qui croient avoir compris avec exactitutde ce qu’est une pratique révolutionnaire et capables d’en dresser une liste bien précise, et on les emmerde bien fort celleux-là.
[2] On souligne par exemple cette tribune des libertaires opposé-es à l’islamophobie parue en 2013. Même si on peut avoir des désaccords avec certains passages et certaines citations (Saïd Bouamama cité en référence est connu pour des positions antisémites, homophobes et transphobes, ainsi que le soutien aux pires régimes autoritaires, comme celui de Poutine), elle a le mérite d’exister et de porter des positions sans compromis contre la persécution des musulman-es, en identifiant certains faux arguments utilisés par des « anti-cléricaux ».
[3] N’oublions pas l’exemple de la Fédération Anarchiste qui s’est lancée corps et âme dans une véritable croisade anti-Islam dès les annees 2000, ce qui l’a rapprochée de la Riposte Laïque. (L’article cité vient des Ravage Editions et date de 2013, comme quoi il y a des retournements de veste assez spectaculaires même parmi les anti-autoritaires)
[4] Il y a évidemment des anarchistes parmi les musulmans, croyant-es ou non, et que même sans se définir comme telles, certaines pratiques de la religion peuvent se rapprocher de l’anarchisme, là où elles sont critiques de l’Etat, de la domination et, dans le cas des courants hétérodoxes, des institutions religieuses elles-mêmes.
[5] En 2018, Emmanuel Macron supprime le mot race de la Constitution (qui figure cependant toujours dans le préambule) pour bien marquer le coup d’affirmer que la Republique ne voit pas les couleurs.
[6] Les « établis » etaient les maoïstes qui allaient s’installer à l’usine pour mieux comprendre les conditions de travail et de vie des ouvrier-es et soutenir des tentatives d’auto-organisation des prolétaires en dehors des cadres syndicaux. On sait que cette citation à elle seule contribuera à discréditer notre propos aux yeux des Fleurs. On leur répondra qu’on peut reprocher beaucoup de choses aux maoïstes, mais pas le fait de ne pas enquêter sur le système auquel iels s’attaquaient. Les anti-racialistes pourraient prendre exemple.
[7] Voir par exemple cette critique du livre « La Fabrique du musulman » de Nedjib Sidi Moussa tiré d’un blog communisateur, qui mentionne les discordistes.
Comme pour les « Amis de Juliette » [les antiracialistes auteur-es d’un bouquin sur le PIR qu’on va analyser dans la section suivante], comme pour les auteurs de « Jusqu’ici tout va bien.. », pour [Nedjib Sidi Moussa] la dénon­cia­tion [de la racialisation des exploité-es] est suf­fi­sante dans la mesure où l’unité de la classe sous le visage ou non du « mou­ve­ment ouvrier », sont des réfé­rents tou­jours pré­sents quelles que soient les vicis­si­tudes du moment, ou tou­jours prêts à se révé­ler à nou­veau. Les seg­men­ta­tions raciales, les assi­gna­tions, ne sont en consé­quence que des acci­dents de sur­face, des choses abso­lu­ment contin­gentes vis-à-vis de ce qu’est sub­stan­tiel­le­ment la classe. Rien d’objectif là-dedans, seule­ment un « tra­vail sub­jec­tif », des manœuvres : la dénon­cia­tion suf­fira donc.
[8] Comme cette tribune récente signée d’une maire PS à propos du meurtre de Nahel, qui fustige les antiracistes qui « l’assignent » à une identité « Arabe »
[9] On ne va pas s’étendre la-dessus, vu que ce n’est pas le sujet principal du texte. Pour des critiques du PIR qu’on trouve pertinentes, on conseillera de relire le texte de Vacarme qu’on a déjà évoqué, le billet de Mélusine ou encore ce compte-rendu de lecture par Ivan Segré.
[10] Voir ce passage sur la page 223 où les amis de Juliette expliquent que « (…) plusieurs articles de promotion du racialisme sont diffusés sans problème aucun, même quand ils sont d’un intérêt au moins discutable, quand ils utilisent des termes empruntés au Ku Klux Klan comme cette notion désormais à la mode de « suprémacisme blanc », mais appliquée à la France (…) ». Dénoncer et prôner le suprémacisme blanc reviendrait à la même chose ? Le suprémacisme blanc n’existerait qu’aux Etats-Unis ?
[11] Les contours de la blanchité évoluent et celle-ci n’est pas irrévocable. Lorsque des projets politiques qui visent une prétendue ‘pureté de la race blanche’ arrivent au pouvoir, la blanchité se restreint. Inversement, il existe des groupes qui, historiquement, n’étaient pas blancs et qui le sont maintenant. On n’est pas blanc-he partout de la même maniere, car le racisme systémique prend des formes différentes et reste conditionné au passé et au présent coloniaux du pays dans lequel on vit. Comme cela a l’air de beaucoup inquiéter les anti-racialistes, précisons que non, les Juif-ves en France ne sont pas et n’ont jamais été blanc-hes, malgré l’idée que certain-es se font de l’assimilation d’une partie d’entre elleux. Si une partie de la communaté juive peut avoir des privilèges blancs (comme d’autres racisé-es, et oui, c’est complexe), ceux-ci restent tout de même très relatifs et peuvent leur être retirés à tout moment.
[12] Voici par exemple un des membres des Fleurs, qui utilise les comptes associés au groupe musical Non Serviam pour défendre les positions du groupe face aux critiques. Dans le tweet cité, il répond à une accusation de queerphobie en disant que son groupe musical « revendique le queer ». Peu importe si l’accusation est vraie ou pas, la défense est absurde.