Géorgie : des manifestations massives contre le gouvernement pro-russe et sa loi sur les agents étrangers


  • Traduction de l’article paru sur Freedom News le 29 avril

Une révolte populaire remarquable traverse en ce moment la Géorgie, s’opposant aux tentatives flagrantes du régime pro-russe de ramener le pays sous la botte impérialiste de Moscou. La nuit dernière (le 28 avril), plus de 106,000 géorgien-nes ont envahi les rues de Tbilissi, uni-es par leur opposition au parti au pouvoir, dirigé par l’oligarque pro-Kremlin Bidzina Ivanichvili. Il s’agit là d’une des plus grosses démonstrations de résistance populaire dans l’histoire récente de ce pays du Caucase. Les tensions se ravivent, tandis que le régime prépare des bus aujourd’hui pour acheminer ses propres contre-manifestant-es qu’il a lui-même recruté-es, s’appuyant à la fois sur ses ressources administratives (les soi-disant « employé-es budgétaires ») et les tactiques d’intimidation et de chantage pour renforcer le nombre de ses partisan-es et de s’octroyer un soutien de façade.

Les manifestations arrivent avant le deuxième vote parlementaire concernant la loi sur les « agent-es étranger-es » du parti au pouvoir Le Rêve géorgien. C’est une page tirée directement du manuel répressif de Poutine qui obligerait toutes les organisations de la société civile dont plus de 20 % de financements proviennent de l’étranger de s’inscrire en tant qu’ « agent étranger » ou de subir des sanctions paralysantes. Vaincue par une mobilisation massive en 2023, cette loi ressurgit maintenant pour stigmatiser et réduire au silence les voix contestatrices.

Ce n’est qu’une des plusieurs mesures effroyables dont l’objectif est de subjuguer le pays au projet néo-impérialiste de Poutine. La loi « offshore », votée par le parlement, fait de la Géorgie un paradis fiscal jusqu’en 2028 pour le rapatriement des actifs off-shore. Une tentative éhontée de faire du pays une machine à blanchiment d’argent pour l’élite criminelle de Poutine, cette loi a été fabriquée sur mesure pour le bénéfice d’Ivanichvili en l’autorisant à rapatrier sa propre fortune cachée dans des paradis fiscaux en Géorgie sans devoir payer d’impôts dessus.

De plus, des propositions d’amendements constitutionnels consacreraient « les valeurs familiales traditionnelles » et entérineraient le contrôle étatique sur la vie privée, criminalisant les personnes LGBTQ+. Ces lois définissent le mariage comme étant l’union d’un « homme génétique et d’une femme génétique », interdisent l’adoption aux couples du même sexe et la chirurgie d’affirmation de genre, effacent les identités de genre non-binaires, criminalisent les rassemblements publiques, ainsi que le discours cherchant à « populariser » les relations homosexuelles.

Les assemblées populaires ouvertes

Ce qui rend véritablement ces manifestations révolutionnaires, c’est leur caractère décentralisé et horizontal. Aucun parti politique ni leader auto-proclamé ne cherche à canaliser la colère populaire selon ses propres objectifs. Au lieu de ça, le soulèvement est propulsé depuis en bas de manière organique par une mosaïque variée de collectifs de la société civile, d’associations de bénévoles, de groupes affinitaires et de personnes concernées de tous les milieux sociaux. Beaucoup de ces groupes ont longtemps divergé sur de nombreuses questions, mais ils s’unissent dans leur rejet ferme des desseins autoritaires de l’État et de sa manipulation par une puissance étrangère.

Les assemblées populaires ouvertes permettent une coordination fluide, pouvant accueillir jusqu’à 100 délégué-es des groupes différents qui s’y réunissent pour planifier des actions collectives. Plusieurs rassemblements de ce genre peuvent se dérouler simultanément. Les rares politicien-nes qui participent à ces assemblées se trouvent largement en sous-nombre et leur opportunisme est contenu par des militant-es vigilant-es. Par leur propre fait, les partis politiques géorgiens se retrouvent dans une attache : on attend d’eux qu’ils montent l’opposition au gouvernement en tant que faux représentants du peuple, pourtant ils sont immédiatement arrêtés dès lors qu’ils cherchent à coopter ou à émousser la révolte.

Cette structure décentralisée met intrinsèquement au défi l’efficacité du contrôle vertical, tout en offrant à ce mouvement une belle résilience. Le degré élevé d’auto-organisation, l’évitement d’une direction hiérarchique et l’organisation en réseau immunisent la résistance contre les écueils habituels qui ont eu raison des manifestations précédentes : la montée des cultes de personnalité, le détournement politicien, la trahison de la base.

Depuis les trois décennies qui ont suivi son indépendance, la Géorgie a fait face à des efforts incessants de la part de la Russie pour la ramener de nouveau dans le giron de Moscou, endurant une guerre civile fomentée par la Russie, deux guerres hybrides en Abkhazie et à Samachablo (l’Ossétie du sud), une invasion militaire en 2008, et désormais la menace d’une annexion par décret législatif. Si le régime soutenu par le Kremlin survit, l’avenir de la Géorgie s’annonce désastreux : la ruine économique avec l’évaporation du soutien occidental, un État policier étouffant qui écrase toute contestation. Des organisations indépendantes, notamment les groupes anarchistes, seront liquidées (le premier ministre accuse habituellement tou-te-s les manifestant-es d’être des anarchistes, ce qui n’est malheureusement pas le cas). La possibilité terrifiante d’une occupation directe par la Russie plane aussi sur l’horizon.

Néanmoins, les géorgien-nes ne se rendent pas sans combat. Dans les rues et les places à travers le pays, une génération ayant grandi dans l’ombre de l’agression et de l’ingérence russe prend les devants, déterminée à construire une Géorgie libérée des entraves de Moscou. Contre la répression par l’État et l’agression impérialiste, nos meilleures armes sont l’organisation par le bas, l’entraide et la solidarité internationale. La bataille pour l’avenir de la Géorgie est loin d’être terminée, mais les manifestant-es démontrent que le pouvoir du peuple, uni dans une lutte commune et guidé par les principes de l’autonomie et de la démocratie directe, est capable de défier même l’ennemi le plus redoutable.

~ Le collectif de la Bibliothèque anarchiste de la Géorgie


 

Post-scriptum de DLB : Nous avons trouvé important de traduire ces quelques échos provenant de la Géorgie qui connaît depuis plusieurs mois une mobilisation populaire sans précédent, pourtant presque totalement ignorée en France, mis à part dans les communautés de la diaspora géorgienne. Les énormes manifestations contre la loi sur l’influence étrangère calquée sur celle de la Russie évoquent forcément l’Euro-maïdan en Ukraine avec ses contradictions politiques et sociales internes, mais aussi le consensus populaire autour du refus de la domination impériale russe. Ce texte se veut très optimiste quant à la résilience et à l’horizontalité du mouvement, et nous espérons que l’avenir donnera raison aux auteur-es. En attendant, nous restons attentif-ves quant aux nouvelles de la Géorgie, où le 1er mai, la police est intervenue pour réprimer les manifestation-es à coup de canon à eau et de gaz lacrymogène. (Certains témoignages font même mention des balles de caoutchouc.)


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