Rouslan Sidiki raconte comment il a déraillé un train et attaqué un aéroport militaire


Le 11 novembre 2023, une explosion retentit sur le chemin de fer près de la ville de Riazan, en Russie, faisant chuter 19 wagons d’un train de marchandises. L’entreprise de logistique à laquelle appartenait le train et l’Etat estiment la somme totale des dégâts à près d’un demi-million d’euros.

Le 29 novembre, les flics arrêtent l’anarchiste Rouslan Sidiki qui finit par avouer sous la torture le sabotage du train, ainsi qu’une autre attaque visant un aéroport militaire. Aujourd’hui, Rouslan est en détention provisoire en attente de jugement final qui pourrait aller jusqu’à une peine à perpétuité.

Dans des lettres envoyés à Ivan Astachine, publiés récemment par le média russe Mediazona, Rouslan raconte sa vie bouleversée par l’invasion russe de l’Ukraine, la préparation méticuleuse des actions de sabotage, ainsi que la torture et sa vie en détention.


« On peut m’appeler partisan. » L’anarchiste Rouslan Sidiki raconte comment il a déraillé un train et attaqué un aéroport militaire

Portrait de Rouslan. Illustration : Boris Hmelny / Mediazona
Illustration : Boris Hmelny / Mediazona

Citoyen italien et russe, électricien de la ville de Riazan, explorateur des sites industriels, cycliste itinérant, anarchiste et partisan : tous ces mots peuvent servir à décrire Rouslan Sidiki, âgé de 36 ans. En été 2023, il a équippé quatre drones d’explosifs afin d’attaquer l’aéroport militaire de Diaguilevo près de Riazan. Puis, en automne, ayant décidé d’agir depuis le sol, il a abîmé un chemin de fer avec deux bombes, en faisant dérailler les 19 wagons d’un train commercial. Désormais en détention provisoire à Moscou, Sidiki attend l’audience qui pourrait le condamner à perpétuité. Dans ses lettres adressées à Mediazona, il raconte pourquoi il a décidé de se consacrer aux explosifs, comment sa première action de sabotage a été interrompue par un renard, ainsi que la différence entre la torture avec le téléphone soviétique « tapik » et celle avec un Taser (il a subi les deux).

L’attaque d’un aéroport militaire. « En vélo, j’ai amené quatre drônes munis d’explosifs au milieu d’un champ. »

Le bourdonnement des Tu-22 et des Tu-95 [des bombardiers historiques de l’Union soviétique, note de la traductrice] que j’entendais à travers ma fenêtre correspondaient aux frappes sur l’Ukraine, ce qui m’a déterminé quant au choix de la cible : l’aéroport militaire Diaguilevo, situé à seulement 10 kilomètres de chez moi. J’habitais avec ma grand-mère âgée de 80 ans et je comprenais à quel point il est difficile pour les personnes âgées et malades de vivre sans chauffage ni éclairage l’hiver. En remplissant mon bain d’eau chaude, je pensais à celleux qui, à un millier de kilomètres de moi, étaient privé-es des conditions de vie basiques par les ambitions géopolitiques de certains. Ceux qui continuent à parler, comme si de rien n’était, des « peuples fraternels » et à raconter que « la Russie ne fait pas la guerre aux civil-es ».

Mon intérêt pour les explosifs remonte à une époque lointaine. Lorsque j’habitais en Italie, je suis tombé sur un article de journal annonçant une explosion censée empêcher la tenue de je ne sais plus quel festival. Cet article s’accompagnait d’un schéma approximatif de la bombe, dessinée de façon très détaillée. La simplicité et l’accessibilité de cet appareil m’ont séduit et c’est ce schéma précis que j’ai utilisé afin d’improviser mes propres engins explosifs, qui m’ont finalement servi pour mes actions de sabotage.

J’ai appris à remplir les bombes d’une matière explosive puissante quand j’avais autour de 18 ans, en téléchargeant simplement des recettes en ligne. Mais, sans compter quelques expérimentations à la campagne, je n’ai pas continué à m’y intéresser avant le début de l’année 2023. En plus de ça, j’avais moi-même construit un quadricoptère muni d’une caméra, car j’ai aussi une passion pour les aéronefs.

J’ai partagé mes plans concernant l’aéroport avec un camarade ukrainien, qui m’a mis en lien avec une personne expérimentée dans le domaine. Nous avons rapidement trouvé un langage commun et j’ai été invité en Lettonie pour tester mes compétences. En cas de succès, on a promis de m’aider à acheter un drone. Puis, je n’étais pas contre le fait de voyager pour une bonne cause. On a vérifié mon absence de liens avec les services de sécurité russes, ainsi que le bien-fondé de mes intentions. Il n’y a eu aucun accord concernant une rémunération éventuelle, les relations se nouaient d’égal à égal, de façon amicale, personne ne m’a donné d’ordre. En ayant acheté les composants du drone, j’ai mené des expériences concernant sa capacité à transporter du poids sur une longue distance.

Enfin, pour des raisons de sécurité, j’ai choisi le mode auto-pilote orienté via GPS avec un décollage à retardement. En vélo, j’ai amené quatre drones munis d’explosifs au milieu d’un champ, en faisant très attention sur le trajet, les substances explosives étant sensibles aux tremblements. Je me rassurais en me disant qu’en cas de détonation accidentelle, je n’aurais pas le temps de comprendre quoi que ce soit et mon corps ne pourrait sans doute pas être identifié.

Une fois que j’ai installé les drones en programmant leur décollage à trois heures plus tard et rentré les coordonnées GPS de l’endroit où se garaient les avions, je suis parti. Juste avant, j’avais remarqué un renard qui fouillait aux alentours, mais sans y prêter une attention particulière. Plus tard, j’ai appris par les médias que seulement l’un des quatre drones est arrivé à destination : sans doute le renard a renversé les trois autres.

Honnêtement, j’avais peur qu’on puisse me traquer jusqu’à chez moi, mais j’avais bien choisi le trajet, alternant entre des endroits sous vidéosurveillance et d’autres sans. En plus, le décalage entre le moment où j’ai quitté l’endroit et celui du décollage des drones était de trois heures. S’il n’y avait pas eu d’incident avec les aéronefs restés sur le champ, même cet endroit-là n’aurait pas pu être déterminé. Malgré tout, j’ai passé un mois à angoisser en écoutant le bruit des pas devant ma porte. Un mois plus tard, le stress est retombé : si on avait pu me retrouver, on l’aurait fait dans les semaines suivant l’action.

J’étais déçu que le sabotage ne s’était pas déroulé comme prévu. Je faisais régulièrement voler un drone de ma propre fabrication et, autour du mois d’août, j’ai ainsi pu découvrir qu’à la hauteur d’environ 30 mètres, l’aéronef perdait le signal GPS. J’en ai conclu que quelque part devait se trouver une centrale de guerre électronique et j’ai donc décidé d’abandonner des futurs projets d’envoi de drone.

Est-ce que je me considérais comme un partisan ? Je pense que cette désignation pourrait s’appliquer à moi. Si, pendant la Seconde guerre mondiale, on appelait « partisans » les gens qui s’opposaient au Troisième Reich sur son propre territoire, je pourrais être assimilé à ces personnes-là.

L’enfance italienne avec des cocktails Molotov. « Je leur ai appris à faire des bêtises, comme on avait l’habitude d’en faire en Russie. »

Rouslan en rando. Illustration : Boris Hmelny / Mediazona
Illustration : Boris Hmelny / Mediazona

Je suis né dans la ville de Riazan où j’ai grandi avec ma mère et ma grand-mère. J’ai eu une enfance typique de la jeunesse des zones industrielles des années 90. J’ai passé beaucoup de temps dans la rue, car il n’y avait rien à faire à la maison. C’était beaucoup plus marrant de fuir le vigile du chantier, lancer des bonbonnes de gaz dans le feu en attendant l’explosion, fouiller dans les sous-sols, construire des cabanes dans le bois. Dès mon plus jeune âge, j’étais fasciné par différents appareils électroniques. En voyant ça, mes parents m’offraient des bouquins scientifiques et des jeux de construction pédagogiques. Je pense que ça a participé à développer ces centres d’intérêt.

Quand j’avais 11-12 ans, j’ai passé mes vacances d’été en Italie avec ma mère. Elle y vivait depuis près de deux ans déjà. A l’approche de l’année scolaire, elle m’a mis devant le fait accompli, en me disant que désormais j’allais habiter et étudier en Italie. Depuis ce moment-là, je ne revenais à Riazan que l’été. Ma grand-mère et mes ami-es me manquaient fort. Les premiers temps étaient compliqués, étudier dans une langue étrangère n’était pas facile. Vers la fin de cette année scolaire, j’ai commencé à avoir plus de facilité à parler et à étudier en italien, grâce à mes camarades de classe notamment.

Je leur ai appris à faire des bêtises, comme on avait l’habitude d’en faire en Russie. A plusieurs reprises, on se retrouvait à devoir s’échapper de la police. Parfois, on nous attrapait, il y a même eu une fois où on nous a choppé-es avec des cocktails Molotov qu’on jetait contre les murs d’une école abandonnée, mais ils nous ont directement relâché-es sur ces mots : « Ne jouez pas avec l’essence, les gars. »

Quand j’ai fini mes études, j’ai cherché à rejoindre l’armée italienne, en particulier la brigade des Alpins : il fallait bien que je canalise mon énergie quelque part. Malheureusement, je n’ai pas été pris.

Je ne vois pas de contradictions importantes entre l’anarchisme et le fait de rejoindre l’armée d’un pays qui n’est pas en guerre pendant un an sans aucune obligation ultérieure. Rejoindre l’armée d’un État envahisseur, ça je ne l’aurais pas fait, en revanche. Au sein de l’armée italienne, j’espérais acquérir des compétences techniques, apprendre à manier les armes, l’équipement et les appareils technologiques. Dans tous les cas, lors de l’apparition d’un territoire auto-gouverné, il nous faudra apprendre à nous protéger des incursions extérieures qui mettraient en péril nos communautés et leurs modes de vie.

Je vivais et je travaillais en Italie, mais suite à un énième voyage en Russie, j’ai décidé d’y rester, lorsque l’on m’a proposé un poste d’électricien. Jusqu’en 2008, mes conditions de vie n’étaient plutôt pas mauvaises. Le fait que ma grand-mère et mes potes m’avaient beaucoup manqué a aussi joué dans cette décision et, puis, la vie européenne me paraissait trop ennuyeuse. Malgré tout, je me rappelle de la Sicile avec beaucoup de tendresse : tu es à cinq minutes de la mer, la nature est belle, la vie est douce pour les gens qui aiment bien la chaleur.

Jusqu’aux événements de 2014, je me rendais en Ukraine une fois par an pour faire des randonnées dans la zone de Tchernobyl. Mon intérêt pour cet endroit était apparu dans ma jeunesse, bien avant la sortie du jeu vidéo « STALKER » [un jeu de tir à la première personne situé dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, ndlt]. Le simple fait d’interdire de s’aventurer librement dans cette zone d’exclusion la rendait plus attrayante à mes yeux. J’adore me faufiler à travers des terrains compliqués d’accès, me cacher des patrouilles, me servir d’équipement militaire. Je me suis ainsi fait des potes, y compris en Ukraine, dont certain-es ne sont malheureusement plus là pour partir en randonnée…

Le chemin vers l’anarchisme. « Mon rejet du totalitarisme et du fascisme reste inébranlable. »

Photo de Rouslan (à droite) dans la commune « la Nouvelle voie » en 2016

Je ne suis pas devenu anarchiste d’un seul coup. A l’époque où je ne connaissais pas encore ce mot-là, j’avais déjà une conception d’un monde juste : sans Etat, avec des communes auto-gouvernées. L’un de mes ami-es m’a dit qu’il s’agissait là de l’idéal anarchiste.

Mais je n’aime pas me limiter à une seule idéologie, des idées issues de divers courants de pensée peuvent m’être proches. Le monde change et ce qui était pertinent et actuel il y a un siècle peut ne plus l’être aujourd’hui. Je n’aime pas la rigidité idéologique de certain-es anarchistes et communistes qui me rappellent parfois des fanatiques religieux. Je peux dire une seule chose : mon rejet du totalitarisme et du fascisme reste inébranlable. (…)

En Russie, pas mal de personnes rêvent encore de « la main de fer de Staline » ou bien [celle] du tsar : « pour que règne l’ordre et que chacun-e sache sa place ». Je peux imaginer la possibilité d’une transition, potentiellement violente, de l’État totalitaire vers d’autres formes de gouvernance avec plus de libertés et, éventuellement, une évolution plus tardive de la société vers l’auto-gestion. Mais ça nécessiterait un changement du côté des gens, et ces-derniers m’ont beaucoup déçu ces dix dernières années, ce qui me fait me dire qu’on se dirige plutôt vers un État du type nord-coréen ou iranien. (…)

Autour de l’âge de 16 ans, je me suis intéressé aux communes agricoles autonomes et je me suis renseigné sur ce genre de communautés en Occident. En Russie, je ne trouvais rien de similaire, à part des communes religieuses, aucun projet ambitieux ne survivait au-delà de quelques années.

En 2010, j’ai entendu parler de « La Nouvelle voie » [une « commune » rurale appartenant à un communiste à la retraite qui accueillait des gens gratuitement en échange de la participation à des travaux collectifs, ndlt] à travers le samizdat [la presse auto-éditée, ndlt], qui évoquait les besoins en main-d’œuvre pour le développement du projet. Malgré la dissemblance entre ce que j’avais lu dessus et la réalité sur place, je continuais à y passer six mois par an. Je travaillais à Riazan en dédiant le reste de mon temps à « La Nouvelle voie », où je m’occupais du jardinage et du bricolage. Tous les ans, j’espérais qu’on puisse créer une forme de production auto-suffisante qui permettrait à la commune d’exister sans dépendre de l’extérieur.

Néanmoins, cela fait plusieurs années que pratiquement rien ne change là-bas. Des nouvelles personnes arrivent et repartent déçues. Je suis quand-même resté par amour pour la nature et parce que je cherchais à acquérir des nouveaux savoir-faire. Je pense que le projet est mort à cause de l’entêtement du fondateur en ce qui concerne les questions financières : il nous était impossible d’organiser la production en refusant de vendre quoi que ce soit de ce qu’on produisait. Malgré nos désaccords, je valorise l’expérience que j’y ai reçu et j’espère que la maison que j’ai construite servira un jour à quelqu’un-e d’autre.

Le 24 février 2022. « J’avais envie de mordre les canons par désespoir. »

Je suivais la situation en Ukraine depuis fin 2013. A cette époque, je pensais prendre part aux manifestations [de l’Euro-maïdan], mais finalement je n’ai pas réussi à économiser assez pour prendre des congés à mes frais. Je ne m’attendais pas à ce que la Russie fasse un pas aussi minable, profitant de la période de transition politique dans le pays. Je pense qu’aujourd’hui, personne n’est dupe quant à ceux qui ont occupé la Crimée, abattu l’avion des Malaysian Airlines, ou encore ceux qui se sont battus autour de Donetsk et Louhansk en prétendant être « des mineurs du Donbass en colère ». [Rouslan fait référence à la propagande du Kremlin prétendant que les bataillons séparatistes dans le Donbass étaient nés de la colère populaire des habitant-es de la région, dont beaucoup sont ouvriers dans les mines. En réalité, la guerre de 2014 débute avec l’invasion de Sloviansk par Igor Guirkine, officier des renseignements de l’armée russe, aussi responsable de l’annexion de la Crimée, même si un nombre non-négligeable de mineurs a effectivement pu rejoindre des formations armées qui se sont montées par la suite. Ndlt.]

En 2021 et 2022, c’était déjà évident que tout menait à l’invasion. La propagande étatique diffusait des sujets de plus en plus agressifs. Peu avant le 24 février, j’ai eu un rêve identique à répétition : plein d’appareils militaires d’un vert sombre se trouvent au milieu d’un champ, sous le ciel gris, les arbres sont tout noirs et n’ont pas de feuilles, je suis à côté avec un lanceur de grenades dans les mains, mais une force extérieure m’empêche de viser et de tirer.

Tôt le matin du 24 février, j’étais dans le train Riazan-Moscou. J’ai somnolé et entendu à travers le rêve des bouts de phrases : « Ce soir, on sera à Kyïv », « On vise seulement les bases de l’OTAN », « C’est eux qui voulaient nous attaquer en premier », « Les khokhli [insulte ethnique visant les ukrainien-nes, ndlt] ne demandent qu’à être passé-es à tabac ». En me réveillant, je me suis mis à regarder les actualités et j’ai vu que l’invasion avait commencé. Tout le mois précédent, mon fil d’actualité était rempli de fausses annonces à propos de tirs et d’autres provocations soi-disant de la part de l’armée ukrainienne. On pourrait dresser des parallèles avec les fausses provocations ayant précédé l’invasion de la Pologne par Hitler ou encore celle de la Finlande par l’URSS.

J’avais le sentiment très désagréable d’éprouver mon impuissance. Je voyais des trains transporter l’équipement militaire, de désespoir, j’avais envie de mordre les canons.

Au début du mois de mars, j’ai pris contact avec un camarade ukrainien, mort depuis, en lui demandant s’il participait à la résistance armée. Il m’a dit : « On brûle leurs véhicules par centaines, pendant qu’ils rasent nos villes toutes entières. » Il est décédé lors de la tentative de chasser l’armée russe des alentours de Kharkiv en été 2022.

L’État russe nous a coupé tous les moyens d’agir sur la situation de manière pacifique : la personne qui manifeste contre la guerre devient traître à la patrie et subit des répressions. Dans cette situation, il n’est pas étonnant que certain-es préfèrent quitter le pays, pendant que d’autres prennent des explosifs.

Dès que j’ai réalisé que la guerre allait durer, à la fin de 2022, j’ai décidé d’agir de façon militaire. L’armée russe s’en prenait délibérément aux infrastructures énergétiques de l’Ukraine, visant à priver ses civil-es d’eau, de chauffage et d’éclairage pour qu’iels fassent pression sur leur gouvernement. D’après le Code pénal de la Fédération russe, « le fait d’organiser une explosion ou d’autres actions inspirant la peur au sein de la population civile afin de faire changer la politique du gouvernement » tombe sous la qualification de terrorisme. Ainsi, les actions du belligérant russe correspondent à cette définition. De plus, il a souvent recours aux « frappes doubles » : suite à une première frappe visant une cible, au moment de l’arrivée des secours, ceux-là deviennent cibles d’une deuxième frappe. Pendant ce temps-là, du côté russe, on ne faisait que jubiler en réaction aux reportages sur la souffrance des civil-es.

Le décès de la grand-mère. « Mon état a eu un mauvais impact sur ma sobriété d’esprit et ma prudence. »

A la fin du mois de septembre 2023, [deux mois après l’attaque échouée sur l’aéroport de Diaguilevo,] j’ai entamé une énième randonnée en vélo entre Riazan et Saint-Pétersbourg. Le deuxième jour de la rando, lorsque je m’approchais de la ville de Vladimir, ma grand-mère m’appelle en disant : « Rouslan, rentre, je ne sens plus mes jambes. » Sa voix était très différente d’habitude. J’ai fait demi-tour pour rentrer chez moi. Peu de temps après, j’ai reçu un appel du médecin cette fois-ci, me disant qu’il y avait une suspicion d’AVC et qu’elle était déjà hospitalisée.

Ce jour-là, j’ai parcouru un nombre record de kilomètres et je me suis retrouvé près de Riazan complètement essoufflé. Là-bas, j’ai un peu dormi sous un arbre pour finir le trajet le matin suivant. La première chose que j’ai faite était de rendre visite à ma mamie à l’hôpital. Elle m’a reconnue, mais sans pouvoir parler. Malheureusement, c’était la dernière fois où j’ai pu la voir. Dans la nuit du 1er octobre, un appel a résonné de nouveau : « Rouslan, venez à la morgue demain. »

Je suis très sensible à la mort, même quand mon cochon d’inde est décédé, je l’ai très mal vécu… Je me rendais compte que ça finirait par arriver tôt ou tard, mais j’ai quand-même beaucoup souffert, assommé par des pensées sombres, j’étais comme dans la brume. Même à l’heure actuelle où j’écris ces lignes, j’ai les larmes aux yeux… Je pense que mon état a eu un mauvais impact sur ma sobriété d’esprit et ma prudence. Idéalement, j’aurais dû attendre quelques mois afin de m’en remettre un peu, mais je n’ai pas fait ça.

La deuxième explosion. « L’infrastructure ferroviaire est le système sanguin d’un pays en guerre. »

Photo du sabotage du train par Rouslan
Illustration : Boris Hmelny / Mediazona

La guerre suivait son cours, et j’ai alors décidé que si je n’y arrivais pas depuis le ciel, il fallait agir au sol. L’infrastructure ferroviaire, c’est le système sanguin d’un pays belligérant. J’ai partagé mes réflexions avec mon camarade ukrainien et je lui ai demandé de faire sauter des rails quelque part pour pouvoir calculer la puissance nécessaire à l’explosion, car mener ce genre d’expériences en Russie en temps de guerre n’était pas la meilleure idée.

Suite à des repérages, j’ai découvert l’une des voies empruntées par des trains transportant des appareils militaires, celle-ci contournait Riazan et partait vers le sud de la Russie. En l’observant un peu, j’ai pu déterminer la fréquence des convois et j’ai compris que ce chemin de fer servait uniquement au transport de marchandises. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’une cible adaptée, car le seul fait de saboter cette voie perturbait la logistique [de la guerre].

Ce sabotage m’a coûté moins de 10,000 roubles [autour d’une centaine d’euros, ndlt]. En quelques jours, j’ai confectionné deux puissants engins explosifs et un vidéo-émetteur muni d’un mécanisme d’auto-destruction. J’ai préparé le trajet de retour. Je m’étais équipé de lunettes de vision nocturne et de sachets de poivre dans mes poches pour embrouiller les chiens. Je suis arrivé à l’endroit de l’action, fixé les explosifs sous les rails et la caméra sur l’arbre en face de façon à ce qu’elle puisse enregistrer l’explosion, dispersé du poivre dans les endroits où j’étais resté à attendre. En ayant trouvé un endroit où le signal était suffisant pour une connexion vidéo, je me suis couché en attendant l’aube. Quand le jour s’est levé et que j’ai commencé à distinguer l’image transmise par la caméra, j’ai attendu le bon moment, vérifié qu’il ne s’agissait pas d’un train passager et déclenché l’explosion.

Je me suis échappé de l’endroit de l’action et caché mon vélo, mes chaussures et mes vêtements à une dizaine de kilomètres de là. Je me suis servi d’un autre chemin pour rentrer chez moi, sans vélo et habillé différemment.

Dans les actualités, j’ai pu voir le résultat du sabotage du train. J’ai envoyé cette nouvelle au camarade ukrainien. Quelques jours plus tard, il m’a dit que sa direction avait décidé de me confier 15,000 dollars. J’étais étonné, car de toute ma vie je n’avais jamais eu entre mes mains plus de mille euros. Je lui ai dit qu’à ce moment-là, je n’avais pas de problèmes d’argent et lui ai demandé de garder cette question pour plus tard. Il a d’abord protesté, puis s’est rendu à l’évidence que ce n’était pas du tout le meilleur moment pour ça.

L’été précédent, il m’avait déjà proposé de payer les soins de ma grand-mère quand elle était à l’hôpital. Je lui ai dit que je ne manquais pas d’argent et que j’avais la somme nécessaire pour ça. Malgré tout, je suis sincèrement reconnaissant du fait qu’il avait décidé d’aider une personne âgée dans un pays qui avait envahi le sien. J’espère qu’il pourra lire ces mots un jour.

Des caméras et des vacanciers suspicieux. « Même lorsqu’on m’a arrêté, ils n’étaient pas sûrs de mon implication. »

Lorsque je repérais le terrain autour du chemin de fer, je me suis retrouvé nez à nez avec des « datchniki » [des citadin-es venu-es profiter de leur maison de campagne, ou « datcha », ndlt] à seulement quelques kilomètres de l’endroit du futur sabotage. Les datchniki voient avec suspicion les personnes ne faisant pas partie de leur coopérative et ils auraient pu se rappeler de moi. S’ils ont été interrogés, les flics auraient pu chopper toutes les personnes correspondant au profil décrit.

Peut-être qu’on m’a cherché à l’aide d’enregistrements des caméras situées dans un rayon de plusieurs kilomètres à des horaires précis. Ils auraient aussi bien pu traquer toutes les personnes qui quittaient la zone située dans l’angle mort des caméras dans laquelle je me suis réfugié.

J’aurais dû changer de lieu du sabotage après avoir croisé les datchniki une semaine avant le jour J. J’aurais aussi dû attendre la tombée de la nuit dans la forêt avant de rentrer en ville, plutôt que d’y revenir directement après. Et utiliser les petits chemins que je connais très bien. Au lieu de ça, à cause de la fatigue, j’ai fait le dernier kilomètre à pied sur une route bétonnée, en croyant m’être échappé au danger.

La caméra, dont l’enregistrement a servi aux flics pour me traquer, m’a aperçu aux alentours de 11h-midi, donc cinq heures après l’explosion. J’aurais dû choisir des vêtements qui m’aurait caché davantage pour ce chemin de retour.

Les tchékistes [la police politique ; ce terme du jargon fait référence à la police spéciale apparue suite à la révolution d’octobre, surtout connue pour son recours systématique à la torture lors des interrogatoires, ndlt] m’ont dit qu’ils n’avaient pas réussi à déterminer comment je suis arrivé sur le lieu du sabotage. L’explosion a eu lieu le 11 novembre et j’ai été arrêté le 29. Ils ont dû galérer et se trouvaient dans une impasse, comme dans le cas des drones. Même quand ils m’ont fait rentrer au commissariat, ils n’étaient pas sûrs du fait que j’avais été impliqué de quelconque manière.

En confisquant mon portable, les flics ont vu mes abonnements sur Telegram et ont pu conclure qu’a minima, je ne soutenais pas « l’opération militaire spéciale » comme ils l’appellent [la manière dont le régime désigne l’invasion de l’Ukraine pour éviter le terme de guerre, ndlt]. Il s’agit là d’une autre de mes erreurs : sur les réseaux, il faut faire semblant d’être un turbo-patriote ordinaire. Le fait de connaître ses droits en cas d’arrestation aussi bien que leur manière de travailler ne ferait pas de mal non plus. Quand ils m’ont arraché mes aveux à force de me battre, l’un des tchékistes a fini par me balancer : « Je m’apprêtais déjà à me taper tou-te-s les cyclistes de Riazan. »


Quels sont les chefs d’inculpation utilisés contre Rouslan Sidiki ?

Les deux attaques sont qualifiées d’attentats terroristes (article 205.2 du Code pénal). En plus de cela, Sidiki est accusé d’avoir préparé un troisième attentat : un sabotage de la voie ferrée devant être effectué en janvier 2024. De plus, l’ensemble des préparatifs est qualifié par l’enquête comme une « formation dans le but d’effectuer une action terroriste » (article 205.3 du Code pénal).

Il est aussi accusé de préparation et d’usage de substances explosives en faisant partie d’une bande organisée (les articles 222.4 et 223.3 du Code pénal).

Rouslan Sidiki refuse de considérer ses actes comme des attentats terroristes. Il nie la préparation d’une troisième action de sabotage. Il souligne aussi avoir préparé les explosifs et mené ces actions tout seul.

Tous ces chefs d’inculpation cumulés, Sidiki, risque entre 15 et 30 ans d’enfermement ou bien une peine à perpétuité. L’enquête est déjà terminée, désormais l’accusé et sa défense se familiarisent avec les pièces du dossier.


L’arrestation et la torture. « Grâce au « tapik », ils auraient pu me faire avouer l’explosion du pont de Crimée. »

Une vingtaine de jours s’était écoulée depuis l’explosion. J’ai commencé à me détendre et je n’ai pas fait attention au policier qui m’attendait devant chez moi. Il m’a comparé aux images de vidéosurveillance de la fameuse caméra et a insisté pour que je vienne l’accompagner au commissariat numéro 4 à Riazan. Là-bas, ils ont prélevé ma salive pour faire un test ADN. Ensuite, des hommes en civil sont venus chez moi pour me ramener au commissariat une nouvelle fois. Ils ont commencé à m’interroger sur ce que je faisais le 11 novembre 2024. Plusieurs fois, j’ai hésité dans ma réponse et celui qui menait l’interrogatoire s’est rendu compte que je cachais quelque chose.

Il m’a menacé d’obtenir des aveux de toute façon : je serais emmené dans la nature, torturé et fusillé dans une mise en scène d’une fuite. Après ça, ils m’ont demandé si j’avais des maladies chroniques. Dès que j’ai répondu non, un coup à la tête m’a projeté au sol et ils ont enchaîné avec des coups de pied. Ils ont attaché des câbles électriques à mes jambes et quand l’un d’eux ordonnait de lancer l’appel, ils commençaient la torture à l’électricité.

Lorsque j’étais torturé comme ça, ils me criaient de chanter l’hymne ukrainien, sauf que j’étais confus et je n’ai pas réussi à m’en rappeler. Je n’ai même pas réussi à débloquer mon deuxième portable en faisant le bon dessin avec mes doigts.

Le téléphone de campagne Tu-57 leur a servis d’appareil de torture, ou bien un modèle analogue, un appareil que je connais bien. J’aimais bien explorer différents endroits sous la terre et des lieux abandonnés, et je collectionnais toute sorte d’objets ayant servi à la défense civile. Peu de temps avant qu’ils ne me choppent, j’avais décidé de revendre une partie de ma collection dont faisaient partie deux téléphones Tu-57 (qu’on appelle communément « tapik » à cause de l’abbréviation « TP »).

Pendant la perquisition de mon appartement, l’un des tchékistes m’a demandé : « J’ai vu que tu revendais des « tapiks » sur internet, il t’en reste pas ? » Heureusement qu’à ce moment-là, je les avais déjà vendus, sinon mes appareils auraient pu servir à ces monstres pour infliger une douleur atroce à d’autres gens. Je n’ai aucun doute sur la motivation de leur demande : ils ne ressemblaient pas trop à des collectionneurs d’antiques.

Après avoir déroulé le « tapik », l’un des tchékistes a ordonné au deuxième : « Fous-lui un torchon dans la bouche pour qu’il ne s’arrache pas la langue et ne gueule pas. » Quand ils me posaient des questions, ils enlevaient le torchon et tournaient la poignée de l’appareil plus lentement, mais dire quoi que ce soit pendant qu’ils tournaient était impossible. L’un des hommes à côté de moi s’est mis à me filmer.

Quand ils ont fini de me torturer comme ça, quelqu’un a demandé à ce qu’on m’amène en voiture. Un homme masqué a demandé à un deuxième à quel point il pouvait me tabasser fort, ce à quoi on lui a répondu : « Tant que ça ne se voit pas sur lui. » Quand on me portait, mes jambes ne m’obéissaient plus et ne faisaient que traîner, à cause de ça, les menottes qui me retenaient me sont rentrées dans ma peau, laissant des coupures, et j’ai perdu la sensation dans quelques doigts. Toute la nuit, on m’a baladé en voiture, ma tête dans un sac en plastique, et on m’a frappé, en me coinçant entre deux sièges.

Lors de la perquisition, l’un des tchékistes avait aperçu les médailles de mes grand-parents et a insisté en demandant s’il y en avait parmi elles qui avaient de la valeur et qui auraient pu être revendues. Je ne serais pas étonné s’ils ont volé des choses…

A l’endroit où je leur ai dit m’être débarrassé des réactifs chimiques, ils m’ont encore frappé et traîné sur la route en me tenant par les menottes, ce qui a abîmé mes épaules. A ce moment-là, ils m’ont aussi volé ma montre qui m’est tombée du poignet.

Le matin, je suis arrivé au commissariat près de la gare, où j’ai passé beaucoup de temps couché par terre, attaché. Plus tard, ils ont tourné une fausse vidéo de mon arrestation et mes aveux. Le soir même, j’étais en cellule.

Le lendemain matin,des gens masqués m’ont repris et ont commencé à me frapper dans la foulée et à me torturer à l’aide des Taser. En comparaison avec le « tapik », le Taser n’a rien de flippant, mais il crame les tissus des fringues en laissant des traces de brûlure sur le corps. Ils ont même brûlé une partie de mon tatouage sur l’épaule. Je garde toujours en souvenir un caleçon devenu une passoire après le passage du Taser…

Le soir, en me retournant à ma cellule, l’homme qui me torturait a appelé un autre pour qu’on lui amène un Taser chargé sur le chemin pour organiser, en reprenant ses termes, un « grillage d’adieu ». Mais cet autre homme ne l’a pas pris avec lui, je ne sais pas pourquoi.

Le matin suivant, je pensais qu’on allait me torturer de nouveau, mais ils m’ont simplement couché par terre, en m’attachant au pied du siège de la voiture, et m’ont conduit à Moscou. La médecin que j’ai vue en arrivant dans le centre de détention était sous le choc. Elle a demandé à mes accompagnateurs pourquoi mon corps était recouvert de traces de coups, ils ont gardé le silence. Je lui ai simplement répondu que j’étais tombé… (…)

Derrière les barreaux. « C’était difficle d’être réveillé par l’hymne national. »

J’ai passé mes deux premières semaines de détention dans le Centre de détention numéro 7 de la capitale, dans la cellule des « extrémistes » et des « terroristes ». C’était difficile d’être réveillé par l’hymne national et par la chanson « Où commence la patrie ? » [une chanson patriotique de l’ère soviétique, ndlt] et de réaliser où je me trouvais. Surtout lorsque j’avais rêvé des balades en liberté…

Au début, je souffrais fort à cause des reins abîmés, j’avais du mal à m’allonger sur le dos, mes coupures se remplissaient de pus, mon bras droit ne bougeait plus correctement, et j’avais du mal à lever mes jambes en marchant. Dans ces conditions-là, j’arrivais à peine à monter sur le lit le plus haut, le seul à être disponible. Les six premiers mois, dès je m’endormais, les souvenirs de la torture à l’électricité me tournaient en boucle dans la tête, si vivement que j’avais l’impression de ressentir à nouveau le passage du courant. Je suis allé consulter la psychiatre de la prison qui m’a prescrit des cachets pour ça.

Une semaine suivant l’arrestation, j’ai reçu des visites de la part des gens qui avaient assisté aux tortures et qui cherchaient à m’écraser psychologiquement, en décrivant mes perspectives futures. C’est évident que dans ces conditions il est difficile de garder un état d’esprit optimiste. Je n’arrêtais pas de penser au fait que pour éviter ce genre de situations, j’aurais pu garder sous la peau une ampoule remplie de poison que j’aurais écrasé en cas d’arrestation… Bon, ça sort tout droit d’un film d’espionnage.

Lorsque j’ai été transféré dans le centre de détention numéro 1, il m’est arrivé un incident curieux. Après que je commence à voir un avocat, l’enquêteur est venu me voir en ricanant : « Penses-tu pour de vrai qu’il va te sortir d’ici ? » Le flic était très intéressé de savoir qui était l’avocat et d’où il venait. Ce jour-là, j’ai eu un conflit avec des codétenus et on m’a fait changer de cellule. Celui avec qui je me suis embrouillé avait été appelé quelque part quelques heures auparavant.

Plus tard, il m’arrivait que mes codétenus s’intéressent très fort à certains détails qui ne pouvaient susciter la curiosité que de mon enquêteur.

J’ai pu aussi vivre des moments positifs derrière les barreaux : j’ai fait connaissance avec des bonnes personnes, celles avec qui je serais ravi de continuer à discuter, si jamais un jour je suis libre. Même si je reste athée, parfois, une pensée me traverse l’esprit : et si tout ce qui m’arrive depuis qu’on m’a retrouvé, c’était la punition pour avoir traité ma propre vie avec légèreté et ne pas l’avoir assez tenue en valeur ? C’est une leçon pour apprendre à l’aimer de nouveau et à profiter de chaque nouveau jour.

A propos du soutien reçu et de l’espoir. « En détention, les lettres ont une valeur particulière. »

Une fois placé au centre de détention numéro 5, les tchékistes venaient me voir en insistant pour que je refuse l’aide d’un avocat. Peut-être qu’il leur était inconvénient : s’il ne pouvait rien changer, ils en auraient sans doute rien à foutre. Ils s’inquiétaient de qui finançait ce-dernier, de quoi on parlait ensemble et pourquoi il venait me voir trop souvent, à leur avis. Les visites de l’avocat ne me laissent pas en proie à l’isolement total et son activité a pu m’offrir une lueur d’espoir.

Je me rends compte qu’une lourde peine m’attend et je ne nourris pas vraiment d’espoir sur une issue favorable. Je suppose qu’il existe une possibilité d’échange [de prisonnier-es entre la Russie et l’Ukraine]. Les prisons ukrainiennes contiennent un bon nombre de citoyen-nes pro-russes. La plupart souhaiteraient être échangé-es, mais le camp russe ne fait aucune démarche pour ça.

J’ai commencé à recevoir les premières lettres de la part d’inconnu-es en janvier [2024], un peu plus d’un mois après mon arrestation. L’enquêteur et les tchékistes m’affirmaient que tout le monde m’abandonnerait et que celleux qui me viendraient en aide seraient inculpé-es de « financement du terrorisme ». Evidemment, ça me fait très plaisir de recevoir des lettres de soutien provenant des personnes que je ne connais pas. En détention, les lettres ont une valeur toute particulière, car tu es totalement coupé du monde extérieur.

Si vous souhaitez améliorer la vie des prisonnier-es, écrivez leur, envoyez leur des cartes postales, ça les poussera à sourire malgré toutes leurs galères. Malheureusement, les enveloppes mettent beaucoup de temps à arriver et, parfois même, « se perdent ». Pour cette raison-là, je n’ai pas réussi à bien établir le contact avec certaines personnes. Je suspecte que quelqu’un-e l’empêche de façon délibérée. Je réponds à chacun-e sans exception et je garde toutes les lettres et les cartes postales que je reçois dans un sac spécial.

Il n’y a pas mille manières de se divertir en prison. De ce que j’ai pu observer, en général, on regarde la télé, certains jouent à des jeux de société et d’autres lisent.

Certain-es de mes correspondant-es me fournissent en livres sur des sujets qui m’intéressent : la programmation, les manuels pour apprendre des langues étrangères et certains livres de fiction. En ce moment, je rafraîchis mes souvenirs de l’italien, je voudrais aussi apprendre l’ukrainien. Une femme sympa m’a abonné à des magasines scientifiques, où je peux découvrir les actualités de l’exploration de l’espace, des animaux, de la physique, etc. – tout ce que j’aime. Parfois, je joue aux échecs. J’ai de plus en plus de livres et d’interlocuteur-ices, ce qui fait que je dédie moins de temps aux jeux. Ma priorité est de répondre aux lettres. Je ne regarde pas souvent la télé, sauf les chaînes scientifiques ou celles sur les voyages ou les animaux, surtout s’il s’agit de cochons d’inde ou de rats.

Je pense pouvoir être considéré comme un prisonnier de guerre, car mes actions rentraient dans le cadre de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. J’aurais été prisonnier politique si on m’avait arrêté pour une action pacifique contre la guerre ou encore un collage « discréditant » les forces armées russes.

Mes actions correspondent à la définition du sabotage, mais en aucun cas à celle du terrorisme, car je n’avais pas pour objectif de terroriser la population civile. Mon objectif était la destruction des avions pour qu’ils ne puissent plus bombarder ainsi que celle des voies ferrées, pour les rendre inutilisables. Malgré le fait que, pour moi, la guerre soit terminée et que j’aie été attrapé, je suis sincèrement reconnaissant aux copain-es ukrainien-nes pour leur confiance en moi. Je suis le seul à blâmer pour mon emprisonnement. J’espère que les ukrainien-nes traverseront toutes les épreuves dignement. Je souhaite à tou-te-s un ciel paisible.


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