Comme nous l’écrivions en septembre, après avoir purgé sa première peine pour une affaire de vandalisme (soupçonné d’avoir participé à une attaque contre des bureaux du parti au pouvoir), l’anarchiste et le mathématicien Azat Miftakhov était relâché d’une colonie pénitentiaire pour être immédiatement replacé en détention provisoire dès sa sortie le 4 septembre dernier.
Les services de sécurité (le FSB) l’accusaient cette fois-ci d’avoir fait l’apologie d’une attaque « terroriste » devant ses co-détenus. L’attentat en question était celui de Mikhaïl Zhlobitsky, un jeune étudiant anarchiste de 17 ans, qui s’était fait exploser le 31 octobre 2018 dans un bureau du FSB à Arkhangelsk.
Le jugement est tombé hier (le 28 mars) : 4 ans ferme à régime strict. Nous traduisons l’article publié par Mediazona à ce sujet qui détaille l’affaire. Nous avons rajouté quelques éléments de contexte entre crochets et supprimé des passages trop techniques.
Pour se tenir informé-e de la situation d’Azat, le mieux est de s’abonner directement à la chaîne Telegram de la campagne Free Azat! (en russe, elle est traduisible automatiquement dans les paramètres de l’application).
Azat Miftakhov condamné à quatre ans ferme à régime strict pour « apologie du terrorisme » lors d’une conversation avec des co-détenus
[Hier,] le tribunal militaire du district central de Iekaterinbourg a condamné l’anarchiste et mathématicien Azat Miftakhov à quatre ans de détention en colonie pénitentiaire dans l’affaire d’« apologie du terrorisme » pour une conversation avec [trois] co-détenus.
Cette peine dépasse les réquisitions formulées par le procureur le même jour : l’accusation avait seulement demandé trois ans d’enfermement selon l’article 205.2 du Code Pénal [qui condamne l’apologie ou l’appel publique à commettre un acte terroriste].
Selon le jugement, le militant anarchiste va devoir purger deux ans et demi en prison et le reste du temps en colonie pénitentiaire à régime strict.
[Il existe plusieurs types de régimes de détention en Russie, dont les colonies pénitentiaires à régime général, strict ou encore spécial (qui sont les plus dures ; Navalny est mort dans l’une de celles-ci). Les prisons sont beaucoup plus rares et réservées aux personnes condamnées pour les crimes les plus sévères, par exemple en lien avec le « terrorisme ». Au vu de la définition très large de ce qui peut constituer une activité terroriste en Russie, de nombreux-ses opposant-es à l’invasion de l’Ukraine sont d’abord envoyé-es en prison au début de leur peine. Iels finissent souvent de purger celle-ci en colonie pénitentiaire par manque de place.]
Selon la version des enquêteurs, lors d’une conversation avec ses 3 co-détenus dans la colonie numéro 17 de Kirov, Miftakhov aurait « approuvé » l’acte de Mikhaïl Zhlobitsky qui avait organisé une explosion au sein d’un bureau régional du FSB à Arkhangelsk. Miftakhov aurait aussi affirmé qu’il « allait venger » la mort d’un camarade qui avait combattu aux côtés des ukrainien-nes et qu’il fallait « faire exploser les hommes du FSB ».
Elena Gorban, avocate et femme de Miftakhov, a raconté à Mediazona que le co-détenu Trouchkov [que Miftakhov considérait comme un ami proche] est bien celui qui avait fourni des informations permettant d’ouvrir cette nouvelle affaire.
Le militant anarchiste n’a pas reconnu les faits. Dans sa dernière déclaration devant le juge, il a affirmé que les preuves utilisées contre lui dans les deux affaires le concernant avaient été fabriquées, et que « l’évidence et l’impudence des [forces de sécurité] ne les embarrasse pas, elle joue plutôt en leur faveur ». Comme écrit le blog It’s My City, le juge Alekseï Kolesnikov a interrompu la déclaration de Miftakhov une minute et demie après qu’il ait commencé à parler et a interdit aux journalistes de continuer à filmer celle-ci.
En hiver 2021, le doctorant de l’Université d’État de Moscou avait été condamné à 6 ans d’emprisonnement au sein d’une colonie pénitentiaire dans une affaire de vandalisme. Selon la version des forces de sécurité, ce jour-là, en 2018, des anarchistes ont cassé une fenêtre du bureau du parti « La Russie unie » à Moscou et y ont jeté un fumigène, en publiant après coup la vidéo de l’action sur internet. Un témoin secret, interrogé un an après le début de l’affaire, affirmait reconnaître Miftakhov par ses « sourcils expressifs ». L’anarchiste lui-même niait sa participation à cette action.
En août 2023, peu de temps avant sa libération, Miftakhov était inscrit sur la « liste des extrémistes et des terroristes » tenue par Rosfinmonitoring [l’agence de l’Etat responsable de la surveillance des opérations financières en lien avec des entreprises terroristes et le blanchiment d’argent]. Le 4 septembre, l’anarchiste était interpellé au moment de sa sortie de la colonie pénale. Le lendemain, un tribunal de district de Kirov le renvoyait en détention provisoire.
Quelques infos supplémentaires
Un article paru au moment du procès sur le site anarchiste avtonom.org donnait quelques autres détails importants sur cette histoire. Dans cette affaire fabriquée du début à la fin, Miftakhov a été balancé par la personne à qui il parlait le plus depuis le début de son emprisonnement en colonie pénale et qu’il considérait comme son ami. Certain-es proches de l’anarchiste suspectent le FSB d’avoir recruté Trouchkov dès le début pour récolter des informations sur Miftakhov.
Pendant le procès qui a duré plusieurs jours, les forces de l’ordre, les matons et le juge ont cherché à construire un profil (plutôt flatteur pour un anarchiste) d’un prisonnier insubordonné et incorrigible, en l’accusant par exemple de ne pas remplir son quota obligatoire de travail carcéral et de ne pas respecter les traditions nationales. Il avait so-disant refusé de fêter la Journée de la Victoire (le 9 mai est une fête nationale officielle commémorant la victoire soviétique sur le régime nazi, événement symbolique instrumentalisé par le régime de Poutine dans sa guerre contre l’Ukraine). Cette accusation s’appuie sans doute aussi sur un fond nationaliste et raciste, l’inculpé étant d’origine Tatar.
Cette image d’un prisonnier insubordonné a participé à ce qu’Azat passe une bonne partie de la fin de sa première peine au mitard. Cela a certainement aussi contribué à ce qu’il soit réemprisonné dans des conditions extrêmement dures.
Au moment de sa brève libération le 4 septembre dernier, Azat a été directement accueilli par les services de sécurité qui l’attendaient, garés juste devant la sortie de la colonie. Ils ne lui ont laissé que 5 minutes pour qu’il puisse échanger avec son entourage proche (ses parents et sa femme qui est aussi son avocate), mais il avait l’air confiant et les a beaucoup rassuré-es.
La déclaration d’Azat à la fin du procès
Nous souhaitons maintenant partager quelques passages de la déclaration spontanée de Miftakhov à son procès. Celle-ci a été interrompue plusieurs fois par le juge, qui a même interdit aux journalistes de l’enregistrer, après que Miftakhov ait commencé à accuser l’Etat russe de « terrorisme ». Il est cependant allé jusqu’au bout de son discours.
Azat :
« Pendant toutes ces années de détention pour l’affaire précédente, je ne me suis toujours pas enflammé d’amour pour l’État, je me retrouve donc de nouveau sur le banc des accusé-es.
Je suis jugé aujourd’hui, parce que les forces de sécurité veulent me mettre sur le dos l’apologie du terrorisme, en fabriquant leurs preuves de la même manière qu’il y a 5 ans. L’évidence et l’impudence de cette falsification ne les embarrasse pas, elle joue même en leur faveur. Ils ont l’air de nous dire : « On peut arrêter qui que ce soit, et ça ne nous coûte rien. »
On observe cette même impudence dans les nombreux cas de torture inhumaine [par] les gardiens du régime, lorsque ces gardiens-là ne s’inquiètent pas que leurs pratiques honteuses vont devenir un héritage publique. Au contraire, ces affaires sont exhibées en objet de fierté. Ainsi, l’État dévoile sa nature terroriste, c’est ce que les anarchistes décrivaient avant les élections présidentielles, en sortant dans la rue avec le slogan : « Le FSB : le terroriste en chef ».
Désormais, ce dont nous parlions à l’époque est devenu évident non seulement dans notre pays, mais partout dans le monde. Nous voyons maintenant comment l’entièreté de la politique intérieure et extérieure de l’État [se canalise] dans les meurtres et l’intimidation. Au même moment où des faux témoins prouvent ma culpabilité d’apologie du terrorisme, toutes les chaînes fédérales diffusent des appels à tuer en masse celleux qui ne sont pas d’accord avec la politique du gouvernement. Nous voyons bien que l’État, en se proclamant verbalement en lutte contre le terrorisme, cherche dans les faits à préserver son monopole sur la terreur.
Malgré tout, peu importe les efforts déployés par les tchékistes [référence à la police secrète instaurée par les bolchéviks en 1917] pour intimider la société civile, même par ces temps très sombres, nous voyons des personnes qui trouvent en elles l’audace de s’opposer à la terreur qui déborde actuellement des frontières du pays. Risquant non seulement leur liberté, mais aussi leur vie, elles réveillent la conscience de notre société à travers leurs actions, la conscience dont on ressent très fort le déficit. Leur persévérance jusqu’au bout devient un exemple pour nous tou.te.s. »
Sur ses mots, Miftakhov rend hommage à Dmitry Petrov, militant anarchiste russe, mort en combattant contre l’empire russe en Ukraine au sein d’une unité bénévole avec plusieurs autres volontaires internationalistes. [Voir l’entretien avec un anarchiste bélarusse en Ukraine et ami de Petrov, publié sur ce blog pour plus de détails.] Selon Miftakhov, son ami a péri « en protégeant Bakhmout des soldats qui étaient devenus l’instrument de l’impérialisme ».
Petrov « ne s’arrêtait pas à la théorie, mais participait activement à l’organisation d’un soulèvement partisan, ce qui n’a pas pu échapper à l’attention du FSB. A cause de ça, il a été forcé de poursuivre la lutte anarchiste en Ukraine. »
« Lorsqu’ont commencé les sombres événements des deux dernières années, il n’a pas pu rester à côté, étant un camarade plein d’initiative qui souhaitait créer une union des libertaires luttant pour la libération des peuples ukrainien et russe. »
Miftakhov conclut en remerciant les collectifs et les personnes l’ayant soutenu en prison, que ce soit en lui envoyant de l’argent, en écrivant des lettres ou en organisant des actions de solidarité.
Il déclare notamment être reconnaissant à tou.te.s celleux « qui [lui] ont écrit des lettres, pleins de chaleur et de bons vœux. »
« Même en étant aussi loin de tout, en colonie pénitentiaire, je les recevais par paquets presque toutes les semaines. Je suis certain que cette attention dont on me témoignait a dû être prise en compte par ceux dont l’objectif était de me rendre obéissant. Je suis très heureux et touché que des personnes partagent une partie de leurs vies, que ce soit des souvenirs joyeux ou des événements tristes. Chacune des lettres est très chère à mon coeur, et je les lis toutes. »
En attendant l’adresse de la prison pour lui écrire, c’est toujours possible de soutenir Azat en envoyant de l’argent :
- depuis la Russie : via un virement sur la carte numéro 5469 3800 5929 3380 au nom d’Elena Gorban ou sur yoomoney.ru : 410018826688898
- depuis l’étranger : via Bitcoin bc1qspn7lwg38ra6r836akqwusnr4zvjhmegz5v9dm
- enfin, via PayPal : abc-msk@riseup.net (en indiquant que le don est pour Azat Miftakhov)